L’AERO-HABITAT (1950-1955), des architectes Louis Miquel[1], Pierre Bourlier et José Ferrer-Laloë.

C’est un programme de 284 logements pour une population européenne, construit par la coopérative privée d’HLM Aéro-habitat, qui laissera son nom à cette opération emblématique du Mouvement moderne sur Alger. Groupant quatre immeubles installés à flanc de coteau sur les hauteurs d’Alger, le parc Malglaive, le projet connaîtra bien des remous avant d’aboutir. Pour le faire émerger, il faudra tout le poids et le courage du ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme de l’époque Eugène Claudius-Petit, comme il le fit quelques années auparavant pour l’Unité d’habitation de Marseille de Le Corbusier, que les Marseillais appelaient « la maison du fada ». Dans une lettre au Préfet d’Alger datée du 23 novembre 1950, le ministre écrit « après avoir étudié personnellement le projet (…) je ne puis qu’approuver une conception qui permet de donner le maximum d’ensoleillement et de ventilation et de vues pour des logements à loyer modéré (…) En conséquence (…) je vous demande d’appliquer l’article 2 de la loi du 15 février 1902 qui permet de vous substituer au Maire et d’accorder, avant le 9 décembre prochain, le permis de construire… » L’implantation des constructions va à l’encontre du schéma urbain classique d’immeubles bordant une voie ou délimitant une place. Pour ce site algérois, l’implantation des immeubles est une réponse hygiéniste et technique, mais non pas vernaculaire. Ce projet est avant tout « européen », voire même une architecture « internationale », celle de Le Corbusier avant qu’il n’arpente la Casbah avec de Maisonseul et qui le fera passer « de la machine à habiter » à celle de « la maison des hommes ».

Les immeubles de l’Aéro-habitat sont l’œuvre majeure de Miquel, ils seront largement publiés dans la presse, éclipsant toutefois ses deux associés Pierre Bourlier et José Ferrer-Laloë.

Miquel réussit là à réaliser un projet que Le Corbusier aurait pu construire s’il n’avait échoué à convaincre les autorités. L’Aéro-habitat est une bonne synthèse des réflexions du « maître » faite par son élève, à la fois en terme d’urbanisme avec le plan Obus pour Alger (faible occupation du sol), et d’architecture avec l’Unité d’habitation de Marseille, immeuble de logements sociaux à caractère communautaire (un emprunt paradoxal aux idéaux de la Révolution russe de 1917 et à la chartreuse d’Ema en Italie découverte par le jeune Charles-Edouard Jeanneret en 1907…). On peut y voir aussi une similitude avec le couvent de La Tourette, construit plus tard entre 1955 et 1960, avec cette même façon de poser délicatement le bâtiment sur le terrain en pente sans le « bulldozeriser », en le gardant intact, ou presque…

L’immeuble principal est une lame étroite implantée perpendiculairement à la pente à 45% et au boulevard Télemly, cette implantation et cette silhouette rappellent le Palais du Gouvernement de Guiauchain construit par les frères Perret en 1927. Il culmine à 23 étages depuis sa partie basse et à 13 étages dans la partie haute de la colline. Il sera quelques temps l’immeuble d’habitation le plus haut du monde. Miquel ne réussira pas à créer une activité sur le toit terrasse, comme il le souhaitait, en référence à la cinquième façade que prônait Le Corbusier, un des cinq points de l’architecture moderne, mais il crée, comme son modèle, une rue intérieure commerçante au niveau intermédiaire, qui a conservé encore aujourd’hui une petite activité (coiffeur, boucher…). Enfin une voirie passe sous le bâtiment.

Conçus pour leur grande majorité en duplex, les logements sont traversants, cette double orientation apportant lumière, soleil et ventilation. On y accède par une coursive faisant office de rue, contribuant aux échanges sociaux. L’architecte André Ravéreau, qui a habité de 1962 à 1973 l’appartement du 19ème étage libéré par Louis Miquel parti en France, se souvient « que ce qu’il y avait d’intéressant avec la coursive, c’est que par exemple quand la voisine faisait la cuisine, elle laissait sa fenêtre ouverte et en passant on faisait un brin de causette… ». Il tint même quelques temps son agence d’architecture dans un des immeubles bas. Le témoignage qu’il livra à Soraya en 2011 de son vécu dans l’Aéro-habitat est un ressenti plutôt positif. Ravéreau eut également un atelier dans l’immeuble-pont Burdeau (1952) de Pierre Marie, juste à côté de celui de Simounet. Cet immeuble doit sans aucun doute au plan Obus de Le Corbusier. En 2012, l’Aéro-habitat tente de se maintenir fièrement accroché sur les hauteurs de la ville, malgré un manque d’entretien manifeste des parties communes, plaie des immeubles d’habitation sans syndic depuis la rétrocession au privé des biens d’Etat en 1981.  Si la façade est constellée de parabole, elle a conservé ses loggias et ses garde-corps faisant moucharabieh, la faisant toujours ressembler à sa « grande sœur » de Marseille…

 

De ces trois architectures présentées, aux programmes de logements sociaux atypiques, les deux premières, celle de« transit » de Simounet et celle de « logements simple confort et confort normal » de Pouillon, c’est la troisième de logements HLM « pour européens » de Miquel qui a le mieux résisté au temps et aux hommes… peut-être parce que la plus proche de cette préoccupation majeure de l’homme apparue dès son origine, s’abriter le mieux possible (une planche de Jean-Marc Reiser la résume parfaitement[2]). Les cinq Unités d’habitation de Le Corbusier (Marseille, Rezé, Firminy, Briey, Berlin) sont classées Monuments historiques et font l’objet de restaurations attentives… à quand l’Unité d’habitation d’Alger de Miquel ?

 

Vincent du Chazaud, le 14 novembre 2014

70.1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Unité d’habitation de Marseille de Le Corbusier (1946-52)

70.2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aéro-Habitat à Alger de Louis Miquel (1950-55)

 

70.3

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Œuvres remarquables de Louis Miquel (dont la plupart des constructions algériennes sont réalisées en collaboration avec Pierre-André Emery):

En Algérie :

-les maisons Léornadon, Poncet, Javel, Lehalle à Alger

-bureaux Coca-Cola à Alger (1950)

-HLM du Champ de Manœuvre (1950)

-école de filles de Berrouaghia (1951)

-école à Ben Aknoun (1953)

-groupe scolaire à El Biar (1954)

-hôtel Beaudoin d’Orléansville (Chlef) (1955)

-Reconstruction du Centre-ouest d’Orléansville (Chlef) (1955)

-Centre Albert Camus d’Orléansville (Chlef) (avec Simounet) (1955-61)

-cité HLM Henri-Sellier à Birmandreis (1957-59)

-préfecture-cité administrative et immeuble de fonctionnaires de Tizi-Ouzou (1961-62)

-préfecture à Mostaganem (1961-62)

-la stèle Albert Camus à Tipasa avec Louis Benisti (1961)

En France :

-MJC de Bures-sur-Yvette (1965-70) et d’Annecy (1966-74) avec André Wogenscky

-les musées de Besançon (1965-70), de Dijon (1969-76), de Dôle (1971-79)…

 

[2] « Il y a 86 ans naissait Le Corbusier », planche de Jean-Marc Reiser parue dans Charlie Hebdo de 1973.