Billet n° 76- ROBERT ET LOUIS-MARIE

Le deuxième volet de « QUESTIONS SUR L’ARCHITECTURE »[1] attendra… Il y a urgence car viennent de tomber dans les bacs des libraires deux petites pépites…

 

Le premier livre est celui de Louise Doutreligne, intitulé « Robertino l’apprenti de Le Corbusier »[2]. Là je me suis fait « doubler », car voilà deux ans que j’ai fait plusieurs entretiens avec Robert, avec le projet de faire parler des témoins de ceux que je considère comme les précurseurs de notre architecture contemporaine, Auguste Perret, Le Corbusier et Jean Prouvé. Pour le premier je doute de trouver encore des collaborateurs, mais pour les deux derniers c’est chose faite. C’était donc le but de ces entretiens de plusieurs heures, que j’ai finalement retranscrits non sans peine. Robert a rencontré Doutreligne en allant voir sa pièce « C’est la faute à Le Corbusier ». Rompue au théâtre et à l’écriture, Doutreligne a filmé leurs entretiens et en a tiré un récit très vivant, dans lequel elle s’efface pour laisser la parole à Robert, qui en profite pour conter sa vie, surtout à l’âge de 12 ans sa rencontre avec Le Corbusier qui deviendra son « guide ». Après sa mort le 27 août 1965, Robert s’était fixé trois tâches à accomplir, sorte de remerciements à Le Corbusier et à sa femme Yvonne. D’abord mener à bien le chantier de « La maison de l’homme », la galerie de Heidi Weber à Zurich, ensuite sauver de la démolition la villa E1027 d’Eileen Gray et Jean Badovici à Cap Martin qui contient des fresques de Le Corbusier auxquelles il tenait, enfin préserver le site de Roquebrune Cap Martin sur lequel est implanté, outre la villa E1027, le cabanon et l’atelier de Le Corbusier, le restaurant de son père Thomas Rebutato et les cinq unités de camping dessinées par Le Corbusier. Aujourd’hui, grâce à l’opiniâtreté de Robert et de son épouse Magda, ce site unique rassemblant ces trois aventures à Roquebrune Cap Martin est sauvé, protégé par le Conservatoire du littoral qui en est désormais le propriétaire.

Ce livre est intéressant car, de par la familiarité, respectueuse, qu’avait Robert avec Le Corbusier, puis de sa collaboration, courte certes, avec le maître, on porte un regard nouveau sur ce grand architecte, et l’on voit que modestie et humilité côtoyaient hauteur et supériorité… tout cela cachait peut-être une timidité. Le livre fourmille d’anecdotes, et l’on se surprend sur plus d’une page à rire de bon cœur. La première rencontre entre Le Corbusier et Thomas Rebutato en 1949, c’est du Pagnol… J’avais déjà décrit ce Le Corbusier proche de gens « simples », sans fard, rien que du « vrai « , dans deux précédents billets[3] sur Joseph Savina, Norbert Bézard et Thomas Rebutato (le père de Robert).

 

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Le Corbusier et Robert Rebutato sur la terrasse de l’Etoile de mer à Roquebrune Cap Martin, début des années 1950.

 

On a souvent comparé l’architecte à un chef d’orchestre, avec ce livre, « La belle histoire des fanfares des Beaux-arts »[1], je comprends mieux pourquoi fut tellement importante pour la formation des architectes la fanfare aux Beaux-arts. Là aussi, l’ouvrage fourmille d’anecdotes plus truculentes les unes que les autres. On y apprend par exemple que la fanfare de l’atelier Arretche, qui prend le nom de Wolfgang Amadeus Bozart, dirigée par un polytechnicien Claude Genzling, sera la première à accepter une instrumentiste fille, Christine de Beauchêne dite Mémé, donc première « fanfaronne officielle et à part entière ». Cette fanfare s’illustra notamment en 1966 quand invitée à se produire au bal de l’École polytechnique, le Point Gamma, ses musiciens se jetèrent tous à poil dans la piscine, au milieu et au grand dam des bicornes et des smokings. Scandale, la fanfare est mise à la porte…

Pour intégrer une fanfare, il n’était point utile de savoir jouer d’un instrument, « ne pas connaître la musique était un plus » dit Michel Lécrevisse, un ancien d’Otello. la fanfare de l’atelier Otello Zavaroni. Celle-ci, avec le disque « Othello et sa fanfare des Beaux-arts à la pêche» obtint en 1965 la distinction du plus mauvais disque de la semaine décerné par Jean Yanne. Certains comme Michel Cantal-Dupart, à la Fanfarchi de Nantes, sont passés du cor d’harmonie à la trompette de cavalerie, puis à la contrebasse et enfin à la grosse caisse. Cet éclectisme ne reflétait pas les talents du musicien, mais plutôt du mal à trouver son instrument… Cette fanfare de Nantes a enregistré un 45 tours, « Carnage sur le do » qui, selon son créateur René Nolleau dit Nolo, portait bien son nom, car ce fut un massacre… Quand une fanfare se produisait et que l’organisateur les rétribuait généreusement, on ne savait pas si c’était pour la qualité de sa prestation ou pour les inciter à s’arrêter…

En 1965, l’atelier d’André Remondet, qui succéda à Auguste Perret en 1954, d’où est issu la fanfare Madeleine Bastille, comptait 70 élèves, dont 2 filles. « C’était donc un atelier ouvert, plutôt progressiste… », sans commentaires, aujourd’hui il y a plus de filles que de garçons dans les ateliers.

Toujours en 1965 apparaît la fanfare des Saints Pères, tirant son nom « de la rue des Saints Pères, une rue dont le nom est encore disponible » selon l’un des ses fondateurs, Louis-Marie Flamand. Louis-Marie, qui jouait alors du trombone dans la fanfare des Bonaparte, tient une large part dans cet ouvrage par ses participations à de nombreuses fanfares, tant dans le texte que dans l’iconographie. On le voit en casquette à carreaux et lunettes noires à bord d’une Austin mini-moke pour une tournée publicitaire, sans doute au milieu de la troupe de piou-piou aux Invalides avec la fanfare Madame Olga et ses amis qui fit une tournée désastreuse à Mayence en Allemagne en 1967, enfin habillé par Pierre Cardin avec la fanfare des Saints-Pères. Dans le texte, Louis-Marie raconte que la fanfare Bonaparte voyageant en car, «  en traversant Rouen, on a doublé un autre car chargé de bonnes sœurs, naturellement on leur a montré notre cul derrière les vitres ». Toujours cet esprit potache et anticlérical avec l’anecdote de Cantal-Dupart quand, après une tournée des bistrots, Nollo et lui déguisé en curé sont abordés par une pauvre dame en émoi : « Mon père, mon mari est en train de mourir, je vous en prie, venez vite ». Cantal-Dupart lève sa soutane, lui montre ses fesses et les deux lurons détalent comme des lapins. Mais là, je pense que Cantal-Dupart a manqué une belle occasion, qui, bien que blasphématoire, aurait consisté à suivre la dame, et lui faire plaisir en bredouillant quelques âneries en pseudo-latin, faire un signe de croix, et filer… Le plus compliqué aurait été de garder son sérieux dans cette situation tragique…

Bon, tout est à l’avenant, c’est le bouquin en entier qu’il faudrait citer… le mieux c’est d’aller l’acheter, sinon je vais avoir des problèmes avec l’excellent auteur, Véronique Flanet.IMG_7817

La fanfare des Saints-Pères habillée par Pierre Cardin. Louis-Marie Flamand est à la clarinette, le deuxième en partant de la droite, si je me trompe il rectifiera de lui-même par une note circulaire à la compagnie…

 

Vincent du Chazaud, le 7 septembre 2015

[1] Véronique Flanet, La belle histoire des fanfares des Beaux-arts, 1948-1968, éditions L’Harmattan, Paris, 2015

[1] La première partie c’est le billet précédent, le n°75

[2] Louise Doutreligne, Robertino l’apprenti de Le Corbusier, éditions de l’Amandier, Paris, 2015.

[3] Billets n°48 et n°49 de mars 2014

[4] Véronique Flanet, La belle histoire des fanfares des Beaux-arts, 1948-1968, éditions L’Harmattan, Paris, 2015