BILLET n°117- THEATRE DES LOGES

 

A un jet de pavé du centre de Paris, à la sortie de la station de métro Hoche de Pantin, un théâtre que rien ne signale depuis la rue, sinon qu’en approchant du 49 de la rue des Sept-arpents, les soirs de représentation, dans la cour d’entrée du lieu, deux comédiens costumés de beaux habits chatoyants, leurs visages grimés de poudre blanche, vous attendent et vous abordent avec politesse et gentillesse. Vous êtres au Théâtre des Loges, un ancien lavoir de la fin du 19ème siècle, que la Troupe, créée en 1989, occupe depuis 1997. Il s’en est passé des choses dans ce local autrefois en déshérence, il en a fallu du temps et de la sueur pour en faire une salle accueillante, et il y en eut des spectacles depuis le premier en ce lieu émouvant avec Hamlet… Shakespeare étant supplanté par leur « cher » Molière pour le nombre de pièces jouées : L’Avare, Les Fourberies de Scapin, Le Misanthrope, La Malade imaginaire, Les Précieuses Ridicules… d’autres auteurs magnifiques aussi, Garcia Lorca, Racine, Camus, Marivaux, Musset, Feydeau, Gogol… toutes leurs œuvres mises en scène et jouées avec l’enthousiasme, l’ardeur, l’amour, la volonté de fer du chef de troupe, Michel Mourtérot, et qui les communique aux comédiens et aux spectateurs. Le théâtre ouvre sa scène à d’anciens comédiens de la troupe, Sébastien Houbre vint y jouer sa propre pièce, « Un prophète de rien », Eunice Ferreira, avec « Une promenade au Portugal », y a récité et chanté du fado.

 

On s’esclaffe, on rit, on pleure, on vit avec les artistes sur scène : c’est de la magie, au sens premier du terme, « un art de produire par des procédés occultes des phénomènes sortant du cours ordinaire de la nature »[1]. Une alchimie même, tant notre lourdeur devient subitement légère, tant notre lassitude devient enthousiasme… si nous aurions du plomb dans la poche, nous sortirions avec de l’or dans la tête. Comme le dit Michel Mourtérot, chaque soir de spectacle est aussi une répétition, rien d’automatique, de « ficelé », chaque soir n’est pas un recommencement, mais un renouvellement continuel. Cette expérience est un risque, un combat dangereux que chaque acteur vient livrer avec la troupe, des sortes de gladiateurs risquant leur peau devant des spectateurs, voyeurs et ébahis. La magie opère ? Alors on savoure ce moment de grâce après le spectacle, en buvant un verre avec les acteurs à la buvette du théâtre, place Vincent.

 

En ce moment, la Troupe du Théâtre des Loges joue, oui c’est le mot exact tant elle y met du cœur à l’ouvrage, joue « La Tempête » de William Shakespeare[2]. Ecrite vers 1610, c’est l’une de ses dernières pièces, elle comporte tous les ressorts qui firent le succès du dramaturge anglais : l’amour, la trahison, la vengeance, la cupidité, l’ambition, avec en toile de fond le monde de l’Italie de la Renaissance échouée sur une île. Entre rêve et réalité, entre morts-vivants et vivants attendant la mort, cette île est une sorte de radeau de la Méduse, concentrant tous les sentiments humains, les plus pleutres comme les plus héroïques. Au service de Prospéro, roi déchu de Milan, s’agitent un ange, Ariel, et un diable, Caliban : le premier sert fidèlement son maître avec l’espoir de recouvrer un jour sa liberté, le second, sorte de «Gollum ou Smeagol», Hobbit du « Seigneur des anneaux », fourbe et versatile, image du bien et du mal incarnée dans un seul être… ce que nous pouvons être. L’un et l’autre sont les esclaves de ces naufragés, jouets de leurs intrigues pour satisfaire une vengeance sur cette île autrefois innocente. Faut-il y voir le mal fait sur les peuples colonisés ? Comme souvent dans les mises en scène de Michel Mourtérot, la pantomime prend part au spectacle, les grivoiseries sont le pendant des saouleries… le désir prend l’allure d’une érection monumentale, les coups prennent l’allure de fessées interdites, la cache sous un drap de deux comédiens formant des ondulations copulatoires… mais tout reste suggéré, rien n’est exagéré, on n’est tout de même pas dans un spectacle de danse de Jan Fabre…

 

 

 « La Tempête » au Théâtre des Loges

 

 

Venez au Théâtre des Loges vous laisser secouer par « La Tempête », vous y verrez un vrai théâtre, de celui qui vit par lui-même, sans aide ni subvention, avec de vrais acteurs qui donnent tout d’eux-mêmes, sans tricherie ni prétention… Tous ne tirent aucune richesse de leur métier, sinon celle de vous voir applaudir à la fin du spectacle… Ils vous remercient alors en vous applaudissant à leur tour, et en vous appelant « cher public ».

 

Et pour finir, « tous à l’abreuvoir », comme disait un général de cavalerie, haut et massif personnage picaresque tout botté et moustache relevée, s’impatientant à poser pour la photo sur le parvis de l’église avec sa fille qu’il venait de marier…

 

Vincent du Chazaud

Le 9 décembre 2018  

[1]Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, éditions Le Robert, Paris, 1993

[2]La troupe du Théâtre des Loges joue « La Tempête » les vendredi et samedi à 20h30, le dimanche à 15h30. C’est au 49 rue des Sept Arpents à Pantin, métro Hoche (ligne 5).  Réservation au 01 48 46 54 73 ou 06 15 23 80 28