En décembre 1943, Claudius-Petit retrouve à Alger Pierre Dalloz, rencontré à Lyon quand ce dernier s’activait au maquis du Vercors. Ingénieur, ami d’Auguste Perret chez qui il a travaillé, il refuse les postes qu’on lui propose au Comité français de libération nationale (CFLN) pour se consacrer au maquis du Vercors. Dalloz rejoindra Claudius-Petit quand celui-ci sera nommé ministre de la Reconstruction et de l’urbanisme (MRU) par le nouveau Président du Conseil Henri Queuille qui eut l’occasion d’apprécier ses compétences et qualités depuis Alger. Claudius-Petit « réalise ainsi ce dont il rêve depuis qu’à Alger, plus de quatre ans plus tôt, il s’est engagé, avec passion et conviction, dans un long combat pour préparer la reconstruction de la France. »[1] Il conservera ce poste de 1948 à 1952 malgré la valse des gouvernements de la IVème République. De 1948 à 1949, Dalloz est chef-adjoint du cabinet d’Eugène Claudius-Petit, à partir de 1949 il devient chef du service de l’architecture au MRU. Intègrent également le cabinet du ministre André Sive, Marcel Roux et Paul Herbé, qui construira la basilique du Sacré-Cœur à Alger (1955-1963) avec Jean Le Couteur. Lors du contentieux pour la reconstruction du vieux port à Marseille en 1950, Dalloz imposera Fernand Pouillon. Les deux hommes se retrouveront quelques années plus tard à Alger. En décembre1951, Dalloz crée le Cercle d’études architecturales (CEA) dans le but de réunir architectes, ingénieurs, hauts fonctionnaires, maîtres d’ouvrage et hommes politiques. Parmi ses membres on compte Frank Lloyd Wright et Walter Gropius comme membres d’honneur, Auguste Perret comme président-fondateur, Le Corbusier, Bernard Laffaille, Jean Prouvé, ainsi que Eugène Claudius-Petit, Max Querrien, Edgar Pisani, François Bloch-Lainé et Jacques Chevallier. 

En 1954 Jacques Chevallier, élu maire d’Alger le 10 mai 1953, propose à Dalloz le poste de conseiller pour l’architecture et l’urbanisme. Celui-ci quitte son poste au MRU, où il a perdu beaucoup de ses pouvoirs depuis que Claudius-Petit n’est plus ministre et il rejoint Jacques Chevallier à Alger. Avec son soutien il crée l’Agence du Plan, un service d’urbanisme alors novateur et inédit dans une grande ville. Dalloz écrit dans ses Mémoires : « Un architecte, un urbaniste n’ont que le pouvoir qui leur est délégué par un homme politique. Dans le domaine de l’architecture, je pus largement changer les hommes et les pratiques par la confiance que m’accorda, pendant plus de quatre ans, de 1949 à 1953, M. Claudius Petit.[2] » Ce dernier restera cependant déçu que seul Fernand Pouillon réalise l’ambitieux chantier de 3.000 logements du nouveau maire, alors qu’il souhaitait y voir associés également Bernard Zehrfuss et Pierre-André Emery. La création de l’Agence du plan en juin 1954 va aggraver l’exclusion de Zehrfuss et Emery, accentuant les ressentiments. Zehrfuss est licencié de son poste d’architecte en chef de l’office HLM d’Alger. En juillet 1955, Claudius-Petit se rend à Alger pour l’inauguration de l’Aéro-Habitat, dont les architectes sont Louis Miquel et José Ferrer-Laloë, auxquels était également associé Pierre-André Emery, et à cette occasion il constate les dissensions régnant entre tous ses amis. Dans sa correspondance avec Claudius-Petit, Emery lui fait part de « son indignation, provoquée par les agissements de ceux qui ont été nos amis, et qui te doivent le plus clair de leur réussite.[3] » Ce ressentiment d’Emery provient de l’éviction des architectes locaux sur les importants programmes de l’Agence du plan notamment sur les Annassers (400 ha, 26.000 logements), les tractations autour de la reconstruction d’Orléansville après le séisme de 1954, la création de la Société d’équipement de la région d’Alger (SERA) créée en 1955 sur le modèle de la Société centrale d’équipement du territoire (SCET) filiale de la Caisse des dépôts et consignation, le remplacement de Zehrfuss par Paul Herbé comme architecte-conseil au Service de l’architecture du ministère et qui rejoint Dalloz, Hanning et Pouillon à Alger. Claudius-Petit vivra mal ces évolutions sur le sol algérien, partageant en silence cette analyse amère, mais lucide, d’Emery.

Fidèle en amitié, Claudius-Petit fera travailler Louis Miquel, Roland Simounet et Pierre-André Emery lorsqu’ils quitteront l’Algérie à l’Indépendance.

Ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme de 1948 à 1952, Claudius-Petit mène une politique d’équipement et de planification de la France, et donc de l’Algérie, afin de faire face à une importante pénurie de logements. En février 1950, il présente devant le conseil des ministres un rapport publié sous le titre « Pour un plan national d’aménagement du territoire »,  considéré comme le manifeste fondateur de la politique menée en matière d’aménagement durant cette deuxième moitié du XXème siècle. Avec ce texte il veut combattre les trop grandes inégalités de peuplement et d’activité, tout en harmonisant le logement aux nécessités industrielles et en prônant un engagement important en matière d’investissement et de réglementation. A l’heure du bilan après son départ du ministère Reconstruction et de l’Urbanisme à la fin de l’année 1952, Claudius-Petit admettra que, entravé par les restrictions budgétaires, c’est avec la municipalité d’Alger et son département qu’il parviendra à lancer le plus vaste programme HLM avec 1.000 logements. 

Député de la Loire (1945-1956, 1958-1962, puis 1967-1973), maire de Firminy (1953-1971), Eugène Claudius-Petit eut l’occasion lors ces mandats locaux de mettre en pratique ses idéaux humanistes et sa passion pour l’urbanisme et l’architecture dans leurs dimensions sociales. Il fut à l’origine des meilleurs programmes de la reconstruction, ou plutôt de la construction de la France d’Après-guerre, et à Firminy donna l’occasion à Le Corbusier d’exercer tout son talent. Il a donné son nom à une place du 14ème arrondissement de Paris, proche du Parc Montsouris. 

Vincent du Chazaud, 31 janvier 2019 

[1] Ibid, p. 110

[2] DALLOZ Pierre, Mémoires de l’ombre, éditions du Linteau, Paris, 2012, p.124

[3] AN, 538 AP, lettre du 12 juillet 1957, in Benoît Pouvreau, Un politique en architecture, Eugène Claudius-petit (1907-1989), p.172