Il y a quelques années de cela, j’allais à Etretat avec ma mie, bien avant d’y avoir pris un premier bain de l’année avec une poignée de têtes brûlées rapidement refroidies dans une eau à 8°C, de vrais pingouins… Nous échouâmes dans un étonnant hôtel, maison à colombages du XIVème siècle, qui cacherait le parchemin détenant l’accès à la Pierre philosophale… S’il y a de l’alchimie dans ce manoir, c’est bien grâce à la qualité de son architecture, l’exploit de son transfert de Lisieux à Etretat en 1912 (ce qui lui permit d’être épargnée par le bombardement de Lisieux en 1944), et la réussite de sa transformation en hôtel de charme et restaurant de goût. Les bois sont sculptés de symboles alchimiques, d’où peut-être son nom de « La Salamandre », cet animal étant affublé de vertus divinatoires… Après avoir dormi dans la mansarde sous les toits, au matin le petit déjeuner était servi dans une immense et haute salle ornée d’une imposante cheminée dans laquelle crépitait de grosses bûches. Des tables et bancs cossus en bois sombre de chêne accueillaient les hôtes. Sur le manteau de la cheminée, une toile d’environ un mètre au carré formant trumeau, attira notre œil. Le tableau est de facture moderne, plein de fougue, on sent que l’artiste est rentré dans son sujet, la tempête fait bouillonner l’eau blanche, les falaises se confondent avec le ciel, tout bascule dans un grand tourment, avec d’impressionnantes touches impressionnistes. La mer agitée jette son écume blanche sur les falaises parmi lesquelles on reconnaît l’aiguille, dont Maurice Leblanc, le père d’Arsène Lupin, prétendait qu’elle était creuse. Magnifique toile du peintre Laurent Zunino, qui exposait alors dans cet hôtel d’Etretat. Une année plus tard, des affiches de ce peintre annoncent une exposition à Paris. Nous rencontrons enfin l’artiste, dans lequel je reconnais le chanteur de rue des dimanches de marché, place Jeanne d’Arc dans le 13ème arrondissement, que, mes cabas pleins, nous écoutions avec mes jeunes enfants… On achètera plus tard « Falaises à Etretat 2004 », lors d’une journée « portes ouvertes » de son atelier.

 

 Falaises à Etretat 2004 -Laurent Zunino – Huile sur bois, 100×100

 Laurent Zunino, vous l’aurez compris, est peintre, c’est chez lui une véritable vocation depuis l’enfance ; il consacre sa vie avec passion à son art, balayant avec force tout ce qui peut le contrarier. Tout ça se ressent dans les coups de pinceaux rageurs dont il couvre ses toiles.

Un poète, et pas des moindres, le grand Léo Ferré, l’a touché à tel point qu’il a souhaité l’approcher. Chez l’un comme chez l’autre, sincérité et liberté sont les fondements de leur art, ils étaient donc fait pour se rencontrer. C’est le fruit de cette rencontre que l’on peut goûter avec le récit autobiographique[1] de Laurent Zunino dans lequel il rend hommage à Léo en lui déclarant, post mortem, son admiration.

Je repose son livre à l’instant, condensé d’écriture, de peinture, de poésie, tout lui que je connais maintenant un peu mieux à travers ses mots pleins de retenue et de hargne mêlés… Une moitié de vie, celle d’un artiste au sens noble: pas un séducteur, mais un agitateur (un incitateur).

Dans ce déroulé d’une demie vie, on décèle les deux parts de l’artiste-poète, la pudeur (la prudence) du Normand, la fougue (la fulgurance) du Latin. Ce mélange donne un homme hors du commun, de ceux qui éclairent nos faces cachées, nos zones d’ombre ; il fait resurgir en nous cet enfant oublié, cette part d’émerveillement, d’innocence et d’ingénuité. Pour être meilleur que nous sommes, en somme.

J’attends le tome 2, celui de sa deuxième moitié de vie, mais qu’il prenne son temps…

Ceci m’amène à un autre poète qui avait rassemblé ses textes épars en un recueil intitulé « La vie en quelques mots ». J’en extrais un[2], comme pour dire merci à Léo, le chanteur-poète, à Laurent, le peintre-poète et à Henri, le berger-poète:

 

« Tous mes amis sont des poètes,

Aussi je n’en ai pas beaucoup;

Mais dans leurs yeux c’est jour de fête

Quand on se donne rendez-vous.

 

Beaux yeux où le cœur se reflète,

Ces reflets d’or vous viennent d’où?

Tous mes amis sont des poètes,

Aussi je n’en ai pas beaucoup.

 

Beaux yeux de mes amis vous êtes

Comme un sourire d’enfant doux,

Signe de choses plus parfaites,

Et quelle Présence entre nous

Quand on se donne rendez-vous ».

 

Voilà, je vous offre ce billet un peu comme un cadeau de nouvelle année… bonne année 2014 à tous.

 

Janvier 2014

Vincent du Chazaud

 



[1] ZUNINO Laurent, « Lorsque je me souviens… », poésies interrompues, Editions K’A, Ille-sur-Têt, 2013

[2] DU CHAZAUD Henri, « Printemps », éditions Points et Contrepoints, Paris, 1960