Billet n°85– DU DROIT D’AUTEUR (1/2) – L’AFFAIRE DU THEATRE DES CHAMPS-ELYSEES

 

À la fin des années 1980, le théâtre des Champs-Elysées d’Auguste Perret fut « couronné » par un restaurant panoramique, œuvre de Franck Hammoutène pour l’intérieur et pour l’enveloppe de Brigit de Cosmi, épouse de Robert Lion. Ce dernier était alors président de la Caisse des dépôts et consignation, principal actionnaire de la société propriétaire du théâtre et maître d’ouvrage de cet «élégant carton à chaussures posé sur l’un des plus beaux bâtiments construits sur les bords de la Seine depuis le début du siècle », selon la qualification qu’en donna Emmanuel de Roux dans le journal Le Monde.[1]

 

Dans cette affaire, l’Ordre des architectes s’était ligué avec les héritiers d’Auguste Perret pour demander la démolition de cette adjonction faite à « l’œuvre du maître ». En première instance, le tribunal de Grande instance de Paris a rejeté la demande de démolition de cette surélévation sur le toit du théâtre, les juges ayant estimé que « si l’on peut comprendre l’émotion ressentie par les demandeurs (…) les modifications apportées ne constituent pas une dénaturation substantielle de la création des frères Perret »[2]. Espérant pouvoir faire réformer cette décision constituant une interprétation restrictive de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété artistique, de plus sur un immeuble classé, les plaignants firent appel mais furent déboutés, la Cour ayant fait prévaloir les droits nés de l’usage sur ceux de la propriété intellectuelle. L’avocat spécialiste du droit d’auteur, Michel Huet, défenseur des plaignants, rappelle l’importance de bien connaître le contexte historique dans les affaires de ce genre :

« Georges Kiejman et moi-même nous nous sommes battus sur le terrain du droit d’auteur des architectes. Les conditions dans lesquelles a été engagé ce procès montraient qu’on ne peut oublier l’histoire quand on fait du droit. Jean-Louis Cohen et d’autres ont planché sur la paternité du théâtre. C’est un vrai problème de droit d’auteur. Le génial Perret a été appelé par Van de Velde. Mais c’est lui qui a été évincé. Ce sont ses plans qui seront modifiés, altérés. Un jour, il faudra faire faire une thèse à un étudiant sur le cas du théâtre des Champs-Elysées, c’est une mine d’enseignement sur la question »[3].

 

Pourtant l’affaire n’en resta pas là, car ce projet de restaurant sur le toit du théâtre des Champs-Elysées n’avait fait l’objet que d’une déclaration de travaux au lieu d’un permis de construire, « comme s’il s’agissait d’un banal édicule d’ascenseur »[4]. Le Tribunal administratif confirmait cette obligation d’un permis de construire, ainsi que le bien-fondé à l’Ordre des architectes d’être solidaire de l’action engagée. En 1992, la société immobilière du théâtre des Champs-Elysées, mécontente de cette décision de justice, portait l’affaire devant le Conseil d’Etat. Le 16 décembre 1994, le Conseil d’Etat rendait son arrêt en confirmant en tous points les décisions du Tribunal administratif, l’obligation d’un permis de construire et que l’Ordre des architectes, agissant « en vue de la protection d’une œuvre des frères Perret faisant partie du patrimoine architectural, avait intérêt à l’annulation de la décision attaquée ». Cette décision de jurisprudence importante pouvait laisser présager une démolition de cette « verrue » construite illégalement sur le Théâtre… Aujourd’hui, vingt ans après il n’en est rien, j’en suis témoin pour passer régulièrement en moto avenue Montaigne et ainsi avoir suivi le dernier chantier de rénovation du théâtre en 2003, le restaurant couronnant toujours l’œuvre de Perret. Autre question, le « maître » aurait-il accepté un tel couvre-chef sur son œuvre, lui qui n’hésita pas à spolier Van de Velde de son projet ?

Vincent du Chazaud,

[1] Cité dans l’article « La démolition du restaurant du théâtre des Champs-Elysées en appel », d’Architectures, n°4, avril 1990.

[2] « La démolition du restaurant du théâtre des Champs-Elysées en appel », d’Architectures, n°4, avril 1990.

[3] « Questions autour de la modernité de la propriété artistique », propos de Michel Huet recueillis par Francis

Rambert, d’Architecture n°77, octobre 1997.

[4] d’Architectures n°52, janvier/février 1995, p.7.