Billet n°93 – Maison Simone Jaoul à Mainguérin (Yvelines)

Avec ma mie, un 6 novembre 2016, nous roulions sur la nationale 10 en direction de Chartres. Après avoir traversé la forêt de Rambouillet, à une cinquantaine de kilomètres de Paris, on quitta la nationale pour traverser les champs de céréales en direction de Mainguérin, petite localité de la Beauce. Un bois la borde, il faut en suivre le chemin, passer devant une maison à la maçonnerie en pierre soignée, qui serait l’œuvre de Roux-Spitz (1888-1957), avant de se rendre compte qu’il est « sans issue », ou plutôt qu’il donne issue à une maison toute blanche, au milieu d’une clairière. C’est la maison Jaoul avec en fond les arbres flamboyants sous la lumière orangée du soleil déclinant vite en cette saison. Plantée là au milieu des bois depuis plus de quarante années, sa fraîcheur témoigne de l’amour qui lui a été porté par la famille qui y vient avec régularité depuis tout ce temps, et encore aujourd’hui.

Maison Simone Jaoul à Mainguerin

Cette maison a été construite entre 1968 et 1969 pour Mme Simone Jaoul. Dessinée par Jean-Claude Drouin, architecte ayant travaillé chez I.M. Pei dans les années 1960, celui-ci s’adresse à Prouvé pour en rationaliser la construction. Auparavant, en 1956 alors qu’il étudiait aux Beaux-arts, il avait été conquis en voyant le montage de la maison des Jours meilleurs sur les quais près du pont Alexandre III, imaginée par Jean Prouvé à la suite de l’appel de l’abbé Pierre à l’hiver 1954. Drouin voulant construire rapidement et économiquement en faisant appel à des produits industrialisés, Prouvé lui suggère pour la toiture une nappe bidimensionnelle et autoportante mise au point avec l’ingénieur Léon Petroff dès le début des années 1960, sous le nom de « toiture réticulaire à surface variable », et pour les façades des panneaux Matra en polyester avec des angles arrondis, moins fragiles, et fermés par du plexiglas. Les vitrages sont fixes, la ventilation est assurée par des châssis « Nacco », comme pour la villa Seynave dans le Var. Les joints d’étanchéité, pour les panneaux ou les vitrages, sont en néoprène. L’ensemble est posé sur une dalle en béton, portée par des poteaux sur un terrain pentu. La chape de ciment au sol est laissée brut, après avoir été lissée et teintée. Le plan en « U » s’enroule autour d’un patio fermé sur l’extérieur. A l’intérieur, avec le système type « tabouret » sur lequel repose la toiture, les cloisonnements sont libres, fabriqués à partir de panneaux de bois contrecollés du type « Rousseau », avec des portes arrondies aux angles.

Il n’a fallu qu’une journée pour monter les structures, charpente et ossature des murs. Les panneaux de façade en polyester, tramés sur 1m20 et fixés par des pare-closes en aluminium vissées sur des raidisseurs, ont été réalisés à l’usine Matra de Romorantin. Ces panneaux préfabriqués avec un parement intérieur en amiante-ciment et une âme en mousse phénolique ont été mis au point avec Jean Prouvé. Ils sont utilisés pour les constructions scolaires (EREA d’Angoulême, architecte Joseph Belmont, 1970/1971), universitaires (université Lyon Bron, architecte René Dottelonde, 1971/1972), refuges de montagne (Les Evettes et Pra-Lognan) et habitations (maisons individuelles de Sèvres et Rueil-Malmaison, architecte Jacques Bon, 1970-1972).  

A proximité, un peu plus tardivement et dans le même esprit de construction industrialisée, l’architecte Claude Le Goas fait construire sa maison selon un procédé de structure modulaire dans les années 1970.

 

Aujourd’hui, la maison, tapie au fond des bois, est toujours habitée et entretenue par la famille Jaoul, dont des membres firent appel à Le Corbusier pour construire les deux maisons de Neuilly-sur-Seine entre 1953 et 1955[1]. Elle a fait l’objet de reportages par les photographes Harry Schunk et Jànos Kender, ainsi que Pierre Joly et Véra Cardot.

 

Si dans l’activité de Prouvé on connaît bien l’utilisation qu’il fit des panneaux de façade en acier et en aluminium, ses matériaux de prédilection, on connaît moins ses recherches en direction du plastique. Issu de l’industrie pétro-chimique en plein essor depuis la guerre, ce nouveau matériau présente une grande souplesse d’utilisation ainsi qu’un large éventail de débouchés grâce à sa malléabilité et robustesse : il fait une entrée fracassante dans le design de l’électro-ménager, et se prête bien, grâce aux techniques de moulage, aux formes qui s’arrondissent, ou s’adoucissent, dans le mobilier et l’automobile.

Homme curieux de toutes les nouveautés, pourvu qu’elles aillent dans le sens du progrès, il était normal que Prouvé s’intéresse aux possibilités que pouvait offrir ce matériau dans la construction. Ce fut d’abord la maison plastique étudiée avec Saint-Gobain[2], puis les panneaux de façade mis au point avec ses collaborateurs de la rue des Blancs-Manteaux, Reiko Hayama, Serge Binotto, Jean Masson et la Division Industrie Plastique (DIP) de Matra.

Fabricant de conteneurs isothermes en panneaux sandwich plastifiés, puis de carrosseries automobiles avec ce même matériau dans son usine de Romorantin (Loiret), Matra diversifiait son activité en direction du bâtiment avec la fabrication (de 1975 à 1978) des « tuiles » pour la couverture des piscines Tournesol, afin de pallier les carences des fabricants Chausson Plastiques et Rapib .

Comment s’est faite la rencontre de Prouvé avec Matra, alors dirigé par Jean-Luc Lagardère ? Ce point reste à éclaircir, on sait seulement que les deux hommes nourrissaient une passion pour l’automobile… Prouvé aura repéré les avantages que peut procurer le matériau plastique pour la peau extérieure d’un panneau sandwich. Par rapport à l’acier, il est léger et imputrescible, il est rigide quand l’aluminium doit être renforcé (tôles gaufrées tendues par des ressorts installés entre les plaques), il est résistant et malléable quand le verre est fragile et coûteux.                              

Vincent du Chazaud, le 19 novembre 2016  

[1] A Neuilly, les enfants Jaoul n’osaient pas dire à leurs camardes qu’ils habitaient la maison de Le Corbusier, une « usine », selon l’expression des riverains et du maire hostiles à ce projet, plantée dans un quartier de maisons bourgeoises.

[2] Dans les années 1960, Jean Prouvé a conçu pour Saint-Gobain une maison entièrement faite d’éléments en polyester armé de fibre de verre dans lesquels est injectée de la mousse de polyuréthane (couverture, panneaux de façades, poteaux). Elle est composée de deux modules. La partie séjour/cuisine est marquée par un volume plus haut que la partie nuit. Elle a été rénovée en 1996 par l’architecte Philippe Bancilhon.