Un homme apprécié et sollicité : soutiens, honneurs, responsabilités

Très apprécié dans le monde professionnel, Prouvé est énormément sollicité, comme on vient de le voir. Aussi, il est soutenu dans des moments difficiles, quand il quitte son usine de Maxéville en 1953 (« on vous a coupé les abattis, il faut vous débrouiller avec ce qui vous reste »  lui écrit Le Corbusier), ou lors de sa nomination en 1971 comme président du jury international (avec entre autres, Oscar Niemeyer, Émile Aillaud, Philip Johson, Jorn Utzon remplacé par Henri-Pierre Maillard…) pour le Centre Beaubourg (qui deviendra Centre Pompidou). Cette nomination, puis le choix du jury pour le projet de Renzo Piano et Richard Rogers, dressèrent contre lui quelques architectes soutenus par l’Ordre, relayés par le journal d’extrême droite Minute. Alors que le journal tisse son article de mensonges et d’approximations tendancieuses, curieusement et maladroitement Le Canard enchaîné lui emboita le pas. Ce dernier reçut en retour un abondant courrier d’indignations, et Prouvé des messages de soutien. Digne, il laissa passer l’orage, même s’il dit ne pas en avoir dormi pendant trois mois… 

Les honneurs, et il en eut beaucoup (grand prix du Cercle d’études architecturales, prix Erasmus, grand prix d’architecture de la ville de Paris, prix international Auguste Perret, docteur-ingénieur « honoris causa » de l’université de Stuttgart, commandeur de la Légion d’honneur, citation dans l’Ordre national du mérite…), il les accepta avec simplicité, et dans ses discours il n’omettait jamais d’associer ses collaborateurs.

 

« Le » livre de Jean Prouvé

Le livre Jean Prouvé par lui-même, édité en 2001 aux éditions du Linteau, déjà cité précédemment, est éclairant sur sa personnalité et son parcours, mais il s’agit de propos recueillis par Armelle Lavalou, et non d’un livre écrit par lui.

Les quatre volumes de Peter Sulzer édités par Birkhäuser, Jean Prouvé. Œuvre complète, couvrant la période de 1917 à 1984, publiés par étapes entre 1995 et 2008, sont un jalon essentiel pour la connaissance de la vie, du travail et de l’œuvre de Jean Prouvé. Lui-même participa activement à la rédaction de ces ouvrages qui rassemblent la presque totalité des archives graphiques.

Des historiens, comme Olivier Cinqualbre[1] ou Catherine Coley[2], ont élargi la connaissance sur Jean Prouvé et analysé ses principes et ses méthodes.

Des galeristes[3], d’abord pionniers et maintenant connus, ont sauvé des œuvres de Jean Prouvé et les ont fait connaître au grand public en exposant ses meubles et ses bâtiments. Ils ont été relayés par la suite avec une salle dédiée à Jean Prouvé au musée des beaux-arts de Nancy, ainsi qu’au musée du Fer de Jarville.

Mais seul un livre, Une architecture par l’industrie, a été écrit (en grande partie), composé et illustré (croquis et photographies) par Jean Prouvé. Le projet remonte à 1967 et le livre est publié en 1971 chez l’éditeur zurichois Artémis. Ce fut une période importante dans la vie de Jean Prouvé, c’est ce qui ressort des nombreux échanges avec l’équipe éditoriale, Benedikt Huber et Jean-Claude Steinegger, ainsi que Willy Boesiger. Après quatre années de travail, l’ouvrage écrit en trois langues, français, allemand et anglais, reçoit un très bon accueil dans la presse spécialisée.

Jean Prouvé choisit lui-même le titre, synthèse de ses batailles pour une architecture confortable et fonctionnelle, partagée et accessible à tous les hommes. Cependant, il redoutait qu’avec ce livre on le qualifie de « doctrinaire », ce qui était à l’opposé de ce qu’il souhaitait être. Aucune répétition dans son œuvre, toujours améliorer l’existant et créer de nouvelles solutions pourvu qu’elles soient utiles. Parlant de son père et de l’Art nouveau et de l’École de Nancy, il disait : « Tous ces gens avaient l’amour du monde ouvrier, prônaient une collaboration étroite entre industriels, artistes et artisans. Ils étaient révolutionnaires sur tous les plans et principalement sur le plan de la production industrielle destinée au plus grand nombre (…) Leur règle principale que je me suis efforcé d’appliquer était la suivante : « L’homme est sur terre pour créer. » Donc, ne jamais copier, ne jamais plagier, toujours regarder vers l’avenir en quoi que ce soit… C’était une règle absolue[4]. »

 

Vincent du Chazaud, le 6 juin 2025

[1] Cinqualbre, Olivier, Jean Prouvé, bâtisseur, Paris, Editions du Patrimoine, 2016.

[2] Coley, Catherine, Stoulig, Claire (dir.), Jean Prouvé, catalogue publié à l’occasion de l ‘événement Jean Prouvé, Nancy, Grand Nancy 2012, éditions Somogy et Musée des beaux-arts de Nancy, 2012. Catherine Coley a publié aux éditions Patrick Seguin une série de cinq monographies abondamment illustrées de bâtiments de Jean Prouvé, présentées sous forme de coffret.

[3] Les galeries Patrick Seguin, Philippe Jousse, François Laffanour et Éric Touchaleaume.

[4] Jean Prouvé par lui-même, propos recueillis par Armelle Lavalou, Éditions du Linteau, Paris, 2001, p.12