Ci-dessous, les différences entre deux révisions de la page.
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responsabilite [2011/03/31 00:03] l_triquet |
responsabilite [2011/04/02 19:09] l_triquet |
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La spécificité du statut de l’expert n’est pas prise en compte par la jurisprudence judiciaire lorsqu’elle puise dans le droit commun le fondement de sa responsabilité, | La spécificité du statut de l’expert n’est pas prise en compte par la jurisprudence judiciaire lorsqu’elle puise dans le droit commun le fondement de sa responsabilité, | ||
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== II.1 La prise en compte résiduelle de la faute == | == II.1 La prise en compte résiduelle de la faute == | ||
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Malgré une grande diversité des fautes que l’expert peut potentiellement commettre, l’on constate que les tribunaux sont en pratique réticents à les admettre.\\ | Malgré une grande diversité des fautes que l’expert peut potentiellement commettre, l’on constate que les tribunaux sont en pratique réticents à les admettre.\\ | ||
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- | II.1.1 | + | == II.1.1 La diversité des fautes |
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+ | Compte tenu de la variété du champ d’intervention des experts, les fautes qu’ils peuvent commettre sont extrêmement diverses.\\ | ||
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- | Aujourd’hui((A la différence de la jurisprudence du XIXe siècle qui prenait en compte essentiellement le dol et la fraude, car seules ces fautes d’intention pouvaient être reprochées à un magistrat, CA Dijon, 25 juil. 1854, D. 1854, 1, p. 249 ; CA Pau, 30 déc. 1863, S. 1864, 2, p. 32.)) il est admis qu’une **simple faute, même légère**, engage la responsabilité de son auteur dès lors qu’elle a causé le dommage subi par le demandeur. En vertu de l’article 1383 du Code civil, il peut s’agir d’une erreur, d’une imprudence ou d’une négligence. Mais il peut également s’agir d’une violation intentionnelle ou malicieuse des obligations de l’expert. | + | Aujourd’hui((A la différence de la jurisprudence du XIXe siècle qui prenait en compte essentiellement le dol et la fraude, car seules ces fautes d’intention pouvaient être reprochées à un magistrat, CA Dijon, 25 juil. 1854, D. 1854, 1, p. 249 ; CA Pau, 30 déc. 1863, S. 1864, 2, p. 32.)) il est admis qu’une **simple faute, même légère**, engage la responsabilité de son auteur dès lors qu’elle a causé le dommage subi par le demandeur. En vertu de l’article 1383 du Code civil, il peut s’agir d’une erreur, d’une imprudence ou d’une négligence. Mais il peut également s’agir d’une violation intentionnelle ou malicieuse des obligations de l’expert.\\ |
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+ | Sans prétendre à l’exhaustivité, | ||
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+ | == II.1.1.1 == | ||
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+ | **Le fait de ne pas s’être comporté comme l’aurait fait un homme de l’art** normalement prudent, diligent, compétent et informé. Il s’agit de la référence implicite au concept traditionnel du « bon père de famille » applicable sur le terrain de 1382 C. civ. Il en va ainsi d’une **erreur ou d’une négligence que n’aurait pas commise un technicien avisé et consciencieux :**\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | * par exemple, le fait pour un **expert artistique** de donner une fausse affirmation d’authenticité. Selon les textes (D. 11 déc. 1945), les indications portées au catalogue engagent la responsabilité solidaire de l’expert et du commissaire-priseur, | ||
+ | * par exemple la **négligence** consistant à avoir **sous-estimé les désordres** dans une maison d’habitation et préconisé des remèdes insuffisants ;\\ | ||
+ | * par exemple, le fait pour l’expert, chargé d’évaluer la valeur d’une propriété, | ||
+ | \\ | ||
+ | == II.1.1.2. == | ||
+ | \\ | ||
+ | **A côté de l’erreur technique que n’aurait pas commise l’expert normalement prudent et diligent, la JP relève plusieurs manquements fautifs aux obligations de l’experts spécifiées dans le Code de procédure civile.** Il s’agit :\\ | ||
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+ | * **des manquements des experts aux exigences fondamentales d’indépendance, | ||
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+ | * **des manquements des experts aux modalités légales de leur intervention**, | ||
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+ | * **des manquements à l’obligation de remplir personnellement la mission confiée** (art. 233 CPC ; autre sanction : les actes accomplis en méconnaissance de cette obligation ne peuvent valoir opérations d’expertise) ;\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | * **le non-respect de la mission qui leur est confiée**, soit en en accomplissant partiellement leur mission soit en dépassant leurs pouvoirs ; dans le même ordre d’idées, le fait d’accepter une mission dépassant sa compétence : en effet, le fait de figurer sur une liste officielle d’expert n’entraîne pas l’obligation pour l’expert d’accepter n’importe quelle mission ; il lui est tout à fait possible de décliner la mission.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | On le voit, les fautes sont diverses.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | **La réticence des tribunaux à admettre les fautes de l’expert** – Cependant, il semble que les juridictions ont quelques **difficultés à se départir de l’idée en vertu de laquelle condamner l’expert, c’est implicitement contester la décision du juge** (elle-même inattaquable) qui a homologué son rapport. En conséquence, | ||
+ | \\ | ||
+ | A cette frilosité, **s’ajoutent des difficultés plus concrètes** que les juges rencontrent lors de l’accomplissement de leur mission. En effet, il n’est pas **aisé de constater la faute d’un technicien dans un contexte où, par définition** puisqu’il a sollicité l’avis d’un expert, **le juge n’est pas compétent.**\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | == II.1.2. == | ||
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+ | **La conception stricte de la faute** de l’expert se situe donc à contre courant du mouvement contemporain évoqué à titre liminaire d’élargissement des conditions de mise en jeu de la responsabilité civile.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | On en veut pour exemple les **erreurs fautives. Toute erreur commise par l’expert n’est pas nécessairement fautive**. Une erreur technique ou scientifique ne pourra être considérée comme une faute civile **que si elle n’aurait pas été commise par un expert normalement prudent et diligent**, de la même spécialité et placé dans les mêmes circonstances que l’expert en cause.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | Ainsi, à l’occasion de la célèbre affaire de Pont-Saint-Esprit, | ||
+ | \\ | ||
+ | == II.1.2.1. == | ||
+ | \\ | ||
+ | S’agissant de l’erreur dans le **travail matériel** (touchant les opérations matérielles de mesure, transcription, | ||
+ | \\ | ||
+ | Est fautif le fait de donner un avis catégorique après une analyse graphologique alors que la science ou la technique utilisée ne peut conduire à des résultats exacts ou incontestables((TGI Paris, 26 avril 1978, Gaz. Pal. 1978, 2, jur., p. 449 ; note F. Thorin.)).\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | == II.1.2.2. == | ||
+ | \\ | ||
+ | S’agissant de l’erreur dans le **travail d’analyse** (menée sur les informations recueillies), | ||
+ | \\ | ||
+ | Est fautif l’expert qui n’a pas pris en compte tous les éléments recueillis ou a omis d’effectuer des investigations indispensables et évidentes((Cass. 2e civ., 20 juil. 1993, n°92-11.209.)).\\ | ||
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+ | == II.1.2.3. == | ||
+ | \\ | ||
+ | S’agissant de l’erreur dans le travail de **rédaction** (erreur de saisie), par exemple, la retranscription d’un mauvais taux d’incapacité par la suite d’une erreur de dactylographie((Cass. 2e civ., 8 oct. 1986, préc. Ici la responsabilité de l’expert a été retenue (il avait mentionné par suite d’une erreur de dactylographie une incapacité permanente partielle de la victime de 30% au lieu de 3%) à l’égard de l’assureur de l’auteur de cet accident.)), | ||
+ | Quand bien même la faute de l’expert serait retenue par le juge, sa responsabilité ne saurait être systématiquement accueillie. En effet, | ||
+ | \\ | ||
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+ | == II.2 La difficile preuve des autres conditions de la responsabilité == | ||
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+ | Les deux autres conditions de mise en œuvre de la responsabilité civile des experts est le dommage et le lien de causalité entre la faute et ce dernier.\\ | ||
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+ | == II.2.1. Dommage == | ||
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+ | Le succès de l’action en réparation engagée contre l’expert suppose que soit établie l’existence d’un préjudice, lequel peut revêtir différentes formes. Enfin, quelque soit la nature du préjudice, on verra que sa réparation varie selon le contexte.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | **L’existence du préjudice** – L’expert ne peut être condamné à verser des dommages et intérêts au demandeur que si ce dernier justifie de l’existence et de l’étendue de son dommage. **Le préjudice peut être différent selon que l’erreur ou la faute de l’expert a été découverte avant ou après le jugement.** | ||
+ | \\ | ||
+ | **S’il a été découvert avant**, bien souvent c’est la **nullité** du rapport de l’expert qui sera demandée et non une action en responsabilité qui sera engagée. On peut aussi voir là la raison de la pauvreté du contentieux de la responsabilité.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | **Après le jugement**, toutefois, et **s’il y a eu condamnation**, | ||
+ | \\ | ||
+ | **La nature du préjudice** – Le dommage imputable à la faute d’un expert est extrêmement varié lui, tout est affaire de circonstance de sorte qu’aucune généralisation ne paraît possible.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | Cela étant, globalement, | ||
+ | Il peut également s’agir d’un gain manqué (//lucrum cessans//). Tel est le cas de la veuve qui invoque le manque à gagner résultant d’une absence d’affiliation de son conjoint décédé à un régime de prévoyance((Argument cependant invoqué à tort, Cass. 1e civ., 28 avril 1993, préc.)).\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | Le préjudice invoqué pourrait très bien s’analyser également en une **perte de chance**. Par exemple, dans un cas où la nullité du rapport d’expertise avait fait perdre définitivement au demandeur le bénéfice des constatations techniques de l’expert eu égard à l’évolution ultérieure de l’état des matériels par réparation ou usure, c’est la perte de chance de se prévaloir d’un principe de créance qui a été indemnisée((TGI Nantes, 6 mars 1985, Gaz. Pal. 1985, 1, p. 303, note M. Caratini.)).\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | Plus rarement, le **préjudice** consiste dans la lésion d’intérêts extra patrimoniaux du demandeur. Par exemple, une juridiction a engagé la responsabilité d’un expert judiciaire pour non-restitution des pièces à une partie à un litige. Cette dernière invoquait un préjudice **moral** subi du fait de ne pouvoir « // | ||
+ | \\ | ||
+ | Marginalement encore, l’expert peut être responsable d’un **préjudice corporel**. Par exemple, la prescription par un chirugien-dentiste d’un appareil dangereux, lequel a perforé l’œil d’un enfant((Cass. 1e civ., 22 nov. 1994, n°92-16.423, | ||
+ | \\ | ||
+ | La réparation du préjudice**Gras** – De façon générale, la réparation du préjudice prend la forme de **dommages et intérêts**. Cela étant, d’autres modalités de réparation sont concevables : la réparation peut ainsi consister dans un changement d’expert((Cass. 1e civ., 16 juil. 1979, Gaz. Pal. 1980, 1, p. 3.)).\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | Lorsque la réparation prend la forme de D-I, leur montant est souverainement fixé par la juridiction saisie de l’action en responsabilité.\\ | ||
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+ | **L’indemnisation ne sera que partielle** si la juridiction n’a pas tenu compte de l’intégralité du rapport d’expertise. Par ailleurs, elle sera également partielle en matière de perte de chance où le principe de la réparation intégrale du préjudice n’est pas retenu.\\ | ||
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+ | **Elle sera totale** si la décision du juge se range systématiquement aux conclusions de l’expert.\\ | ||
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+ | Cela étant, avant d’envisager toute condamnation de l’expert à réparer le préjudice, il faut établir l’existence d’un lien causal entre l’intervention fautive de l’expert et ce préjudice.\\ | ||
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+ | == II.2.2. Lien causal == | ||
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+ | Pour la Cour de cassation, le critère du lien causal se trouve en principe exprimé dans l’enseignement constant selon lequel un rapport causal existe entre une faute et un dommage lorsqu’il peut être affirmé que, **sans la faute, le dommage ne se serait pas produit tel qu’il s’est réalité //in concreto// | ||
+ | \\ | ||
+ | Conformément **au droit commun**, la responsabilité de l’expert est subordonnée à la preuve d’une relation de cause à effet entre la faute qu’il a commise et le préjudice subi par la victime((Cass. req., 2 déc. 1930, S. 1931, 1, p. 215 ; Cass. civ., 9 mars 1949, préc.)).\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | Ainsi a-t-il très tôt été admis((T. civ. Seine, 9 fév. 1939, Gaz. Pal. 1939, 1, p. 743.)) que la responsabilité de l’expert ne peut être retenue que si :\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | * **le demandeur prouve que c’est bien l’avis de l’expert qui a entraîné la décision du juge et non pas des motifs différents** ; tel ne serait pas le cas si les désordres subis par les demandeurs proviennent essentiellement d’une insuffisance de conception de la maison imputable aux constructeurs((CA Nîmes, 10 janv. 2006, comm. V. Perruchot-Triboulet.)).\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | * et que, **en raison du caractère technique de l’expertise, | ||
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+ | Si cette règle de droit commun s’applique sans difficulté à l’expert amiable, la spécificité du statut de l’expert judiciaire la **rend d’application plus délicate**. Le problème ici réside dans **la preuve du lien de causalité** entre la faute et le dommage car, la plupart du temps, **le préjudice est directement imputable à la décision rendue par le juge**, même si elle a été prise sur la base du rapport de l’expert. En conséquence, | ||
+ | \\ | ||
+ | La difficulté **tient à l’intervention du juge**, qui n’est pas lié par l’avis de l’expert qui l’éclaire et dès lors va « couvrir » en quelque sorte l’erreur ou la faute de l’expert. Dès lors, il semble délicat de découvrir un lien de causalité entre une faute éventuelle de l’expert et le préjudice résultant de la décision de justice. **Finalement, | ||
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+ | **D’ailleurs, | ||
+ | \\ | ||
+ | **La Cour de cassation elle-même a parfois rejeté l’action en responsabilité de l’expert faute de lien causal**. C’est ainsi qu’elle a approuvé une cour d’appel d’avoir débouté un preneur à bail évincé, de son action en responsabilité contre l’expert judiciaire qui avait fixé le montant de l’indemnité d’éviction en fonction de la seule valeur du fonds de commerce sans tenir compte du droit au bail, au motif qu’elle a justement relevé que la cause directe du dommage invoqué se trouvait dans l’appréciation et la décision de la cour d’appel((Cass. 1e civ., 18 fév. 1997, Juris-Data, n°000731.)).\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | **Pour autant, il ne faut pas en déduire hâtivement que l’expert ne peut être tenu pour responsable de rien**. En effet, l’expert judiciaire qui n’a eu à émettre qu’un avis, pourra être retenu pour responsable des conséquences dommageables du jugement aux conditions suivantes : \\ | ||
+ | * le jugement est coulé en force de chose jugée ;\\ | ||
+ | * la faute qu’il a commise a déterminé la décision du juge ;\\ | ||
+ | * ni le juge, ni la partie lésée n’ont eu la possibilité de la déceler et donc de la rectifier au cours des débats postérieurs au dépôt du rapport.\\ | ||
+ | \\ | ||
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+ | == II.3. La mise en œuvre de la responsabilité dans le temps par la prescription de l’action en responsabilité | ||
+ | \\ | ||
+ | La réforme de la prescription en matière civile par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 a déjà fait l’objet de plusieurs publications mais les modalités d’application restent à éclaircir((V. D. Lencou « la prescription de l’action en responsabilité civile contre l’expert judiciaire après la loi du 11 février 2004 modifiant la loi du 29 juin 1971 », Experts, n°69 p. 17; A.Gaillard, D. Lencou et D.Znaty : « Vers une nouvelle prescription de l’action en responsabilité civile contre l’expert », Experts, n°78 p.135 et D. Lencou « La réduction à cinq ans de la durée de la prescription de l’action en responsabilité civile contre l’expert judiciaire » Experts, n° 79 p.10)). \\ | ||
+ | \\ | ||
+ | Après avoir entendu les représentants des experts de justice, qui souhaitaient la modification de l’article 6-3 de la loi du 29 juin 1971 qui disposait que « // | ||
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+ | La prescription consiste…\\ | ||
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+ | Il ne faut pas perdre de vue que e délai de droit commun de la prescription extinctive doit constituer un juste équilibre ; il ne doit pas être trop long pour assurer la sécurité sans entraver le commerce juridique, qui doit rester conforme aux progrès technologiques (des transports et des moyens de télécommunication) et permettre de réduire le coût de conservation des preuves. Il ne doit pas être trop court pour éviter les injustices et le jugement moral de récompense d’un comportement fautif. \\ | ||
+ | \\ | ||
+ | L’application du droit commun peut constituer une simplification de notre droit et des contraintes qui pèseront sur les experts de justice dans le temps mais pose des difficultés en terme de définition du point de départ et de computation des délais.\\ | ||
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+ | |||
+ | == II.3.1. Le point de départ == | ||
+ | \\ | ||
+ | L’article 2224 du Code civil fixe le point de départ du délai de prescription au « //**jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits**// » lui permettant d’exercer l’action en justice. Le point de départ de la prescription n’est pas très facile à cerner et posera des difficultés aux experts pour savoir quand ils seront définitivement libérés du fardeau de la preuve de l’accomplissement de leurs diligences.\\ | ||
+ | \\ | ||
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+ | == II.3.1.1. Le point de départ « glissant » == | ||
+ | \\ | ||
+ | * __La définition du point de départ « glissant »__ est conforme à l’article 2234 du Code civil et reprend la jurisprudence selon laquelle la prescription ne court pas tant que le créancier ignore l’existence ou l’étendue de la créance ou se trouve dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. Cette définition laisse une grande marge d’appréciation au juge pour fixer le point de départ du délai permettant au créancier d’exercer l’action en justice.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | * __L’application aux experts du point de départ « glissant »__ pose la question de savoir à partir de quel moment une personne, qui pourrait se plaindre des agissements d’un expert, aurait connaissance d’un éventuel droit à réparation dans le cadre d’une action en responsabilité civile.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | La réponse à cette question n’est pas simple et avant d’essayer d’y répondre il convient de rappeler que toute personne qui pourrait subir un préjudice qui trouverait son origine dans l’accomplissement de sa mission par un expert pourrait engager une action en responsabilité dans les conditions de droit commun. __**Désormais, | ||
+ | \\ | ||
+ | * **En matière civile**, avant la loi du 17 juin 2008, la plupart des experts considéraient, | ||
+ | \\ | ||
+ | Sur le fondement de l’article 173 du Code de procédure civile, **la notification d’une copie du rapport à chaque partie permettra de faire courir le délai de cinq ans** dans les conditions de l’article 2224 du Code civil et la principale difficulté de détermination du point de départ se rencontrera en l’absence de dépôt de rapport par l’expert lorsque la communication sera effectuée par les greffes comme en matière pénale.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | * **En matière pénale**, conformément à l’article 167 du Code de procédure pénale, c’est le juge d’instruction qui donne connaissance des conclusions des experts et la difficulté pourra provenir de la connaissance par l’expert du jour de la notification. Afin de leur permettre de déterminer avec précision le jour où les parties auront eu connaissance de leur avis, les experts pourront demander au juge d’instruction l’autorisation de communiquer les conclusions de leur rapport aux officiers de police judiciaire chargés de l’exécution de la commission rogatoire, au procureur de la République ou aux avocats des parties. Si le juge ne l’estime pas opportun les experts auront la faculté de lui demander la date de la notification aux parties. \\ | ||
+ | \\ | ||
+ | * **En matière administrative**, | ||
+ | - Si l’assignation vise l’expert collaborateur du service public pour faute personnelle devant les tribunaux judiciaires, | ||
+ | - Si l’assignation vise l’Etat devant les tribunaux administratifs, | ||
+ | \\ | ||
+ | Qu’il s’agisse de prescription de cinq ans ou de déchéance de quatre ans le point de départ du délai est toujours la connaissance par l’éventuelle victime des faits à l’origine de son préjudice et l’article R.621-9 du Code de justice administrative sera particulièrement bien accueillie par les experts qui disposeront du moyen de connaître avec précision la date de la connaissance par les parties de leur avis.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | A priori **__le délai devrait démarrer dès la notification du rapport__** effectuée en matière civile conformément à l’article 173 du Code de procédure civile et en matière administrative dans les conditions de l’article R. 621-9 du Code de justice administrative. En matière pénale, il paraît opportun de prendre toute mesure pour savoir quand les parties ont eu communication de l’avis de l’expert. En tout état de cause les rares difficultés qui seront rencontrées seront compensées par la règle du délai butoir.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | == II.3.1.2. Le délai butoir == | ||
+ | \\ | ||
+ | Innovation majeure conduisant à la déchéance du droit d’agir au bout d’un certain temps, l’article 2232 du Code civil instaure un délai butoir de 20 ans à partir du jour de la naissance du droit. | ||
+ | \\ | ||
+ | == II.3.2. La computation du délai == | ||
+ | \\ | ||
+ | La durée de cinq ans à compter du dépôt du rapport et la notification aux parties mérite quelques précisions en matière de décompte du délai et entraîne des conséquences pratiques qui ne peuvent être négligées.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | |||
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+ | == II.3.2.1 – Les difficultés de décompte du délai. == | ||
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+ | Détaillé aux articles 640 à 647 du Code de procédure civile et aux articles 2228 et 2229 du Code civil, le principe de computation semble simple puisque, selon les articles 2228 et suivants du Code civil, la prescription se compte par jours, et non par heures. Elle est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli. Cependant, les circonstances de chaque espèce peuvent entraîner des difficultés et les innovations majeures de la loi ont trait aux incidents qui peuvent perturber le cours de la prescription pour la suspendre ou l’interrompre.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | * **La suspension**, | ||
+ | \\ | ||
+ | - __Les anciennes causes de la suspension__ tendaient à protéger les incapables et sont confirmées dans le nouvel article 2235 du Code civil. Il convient de se poser la question de savoir si les experts qui devront donner un avis sur des situations concernant des mineurs ou des incapables pourraient voir le délai de prescription interrompu jusqu’au moment où ces derniers seraient en mesure de faire valoir leurs droits ? Ce pourrait être le cas de violences sur des nourrissons pour lesquels un juge demanderait l’avis d’un expert. Avant la loi du 17 juin 2008 le délai de prescription de dix ans débutait à la majorité de l’enfant ce qui pouvait prolonger le délai à 28 ans après le dépôt du rapport. La combinaison de l’article 2235 du Code civil, sur la protection des mineurs, et la règle du délai butoir prévue à l’article 2232 devrait limiter ce délai à 20 ans à compter des faits.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | - __Les nouvelles causes de la suspension__ résultent d’un empêchement résultant de la loi, d’une convention ou de la force majeure ainsi que de celles qui concernent la négociation et la demande de mesures d’instruction.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | --> L’article 2234 du Code civil dispose que « //La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure// ». Ainsi, **chaque expert devra apprécier chaque situation pour décider de conserver ses archives lorsque la prescription pourrait être suspendue.**\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | Il est indiscutable que le point de départ du délai de prescription pour une personne qui dispose de la pleine capacité juridique est la notification du rapport. | ||
+ | \\ | ||
+ | --> Le législateur a voulu favoriser **les mesures d’instruction in futurum** par l’article 2239 du Code civil. Il s’agit de l’application de l’article 145 du Code de procédure civile, qui prévoit la possibilité, | ||
+ | Le législateur aurait pu choisir l’interruption plutôt que la suspension dans la mesure où il y a bien le réveil du titulaire d’un droit, mais il faut reconnaître que la frontière est difficile à cerner.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | * **L’interruption**, | ||
+ | \\ | ||
+ | - L’article 2241 du Code civil dispose que « //la **demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription** ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure// | ||
+ | \\ | ||
+ | - L’article 2242 du Code civil dispose que « // | ||
+ | \\ | ||
+ | - L’article 2243 du Code civil dispose que «// l’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance, | ||
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+ | == II.3.2.2 - les conséquences pratiques : == | ||
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+ | __L’abrogation de l’article 6-3 et l’application des dispositions de droit commun__ vont entraîner pour les experts un allégement de la durée de conservation des preuves de leurs diligences mais il convient de cerner les règles de droit transitoire avant de procéder à la computation des délais.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | * **Le droit transitoire** | ||
+ | \\ | ||
+ | __L’article 2 du Code civil__ a fixé le principe d’ordre public de non rétroactivité des lois à laquelle la réforme de la prescription ne peut déroger.\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | --> __Selon l’article 2 du Code civil__, « //la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif// | ||
+ | \\ | ||
+ | --> __La loi du 17 juin 2008__ consacre deux textes au droit transitoire qui ne semblent pas déroger au principe de non rétroactivité des lois. __L’article 2222 du Code civil__ dispose dans son alinéa 2 « …//En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, **ce nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle**, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ». Le II de l’article 26 de la loi selon lequel « Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription **s’appliquent __aux prescriptions__ à compter du jour de l’entrée en vigueur de la présente loi,** sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure », vient rajouter que la réduction de durée s’applique **« __aux prescriptions__ »**, ce qui concerne les missions achevées et non prescrites avant le 19 juin 2008. Ainsi, la loi consacre la jurisprudence constante selon laquelle **toute loi nouvelle s' | ||
+ | \\ | ||
+ | * **Exemples pratiques :**\\ | ||
+ | \\ | ||
+ | Puisque les lois réduisant le délai de prescription s’appliquent aux prescriptions en cours, la prescription réduite ne commence à courir que du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle et il convient de proposer le tableau suivant, établi selon les préconisations de la lettre du 21 juillet 2004 et de la jurisprudence de la Cour de cassation qui précise qu’ « //en l’absence d’une volonté contraire, expressément affirmée, la loi ne peut produire effet que pour l’avenir, et que spécialement, | ||
+ | \\ | ||
+ | \\ | ||
+ | ===== Conclusion ===== | ||
+ | \\ | ||
+ | Il est indiscutable que l’abrogation de l’article 6-3 de la loi du 29 juin 1971 va alléger considérablement la charge de conservation des preuves de leurs diligences pour les experts mais il ne faut pas perdre de vue qu’il faut s’assurer que les parties ont bien été informées de l’avis donné pour apprécier leur éventuel droit. En l’absence de telle justification il est opportun pour les missions terminées avant le 19 juin 2008 de conserver les archives pendant au moins dix ans à compter de la fin de leurs missions.\\ | ||
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+ | A l’avenir, il appartient aux experts, s’ils en ont la possibilité, | ||
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+ | Rarement tenu à réparation en raison de la réticence des tribunaux à constater la réunion des conditions de mise en jeu de sa responsabilité civile, l’expert peut, de surcroît, espérer obtenir versement de dommages et intérêts en agissant pour procédure abusive contre le justiciable qui l’a assigné (en cas de griefs ayant un caractère injurieux, par ex : atteinte à l’honorabilité et à la réputation de l’expert : Cass. 2e civ., 27 janv. 1988, inédit ; ou abus du droit d’agir en justice).\\ | ||
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+ | Dans un tel contexte, rares sont les hypothèses dans lesquelles il paraît souhaitable d’engager une action en responsabilité civile contre un expert. | ||
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