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responsabilite

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responsabilite [2011/04/01 23:45]
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responsabilite [2020/05/11 16:30] (Version actuelle)
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 La spécificité du statut de l’expert n’est pas prise en compte par la jurisprudence judiciaire lorsqu’elle puise dans le droit commun le fondement de sa responsabilité, mais elle influence les conditions de sa mise en œuvre. Ainsi, la trilogie de la faute, du dommage et du lien causal présente des particularités qui ont toutes pour résultat de dissuader l’accueil de la responsabilité de l’expert judiciaire.\\ La spécificité du statut de l’expert n’est pas prise en compte par la jurisprudence judiciaire lorsqu’elle puise dans le droit commun le fondement de sa responsabilité, mais elle influence les conditions de sa mise en œuvre. Ainsi, la trilogie de la faute, du dommage et du lien causal présente des particularités qui ont toutes pour résultat de dissuader l’accueil de la responsabilité de l’expert judiciaire.\\
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 Malgré une grande diversité des fautes que l’expert peut potentiellement commettre, l’on constate que les tribunaux sont en pratique réticents à les admettre.\\ Malgré une grande diversité des fautes que l’expert peut potentiellement commettre, l’on constate que les tribunaux sont en pratique réticents à les admettre.\\
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-**II.1.1 La diversité des fautes** – Compte tenu de la variété du champ d’intervention des experts, les fautes qu’ils peuvent commettre sont extrêmement diverses.\\+== II.1.1 La diversité des fautes == 
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 +Compte tenu de la variété du champ d’intervention des experts, les fautes qu’ils peuvent commettre sont extrêmement diverses.\\
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 Aujourd’hui((A la différence de la jurisprudence du XIXe siècle qui prenait en compte essentiellement le dol et la fraude, car seules ces fautes d’intention pouvaient être reprochées à un magistrat, CA Dijon, 25 juil. 1854, D. 1854, 1, p. 249 ; CA Pau, 30 déc. 1863, S. 1864, 2, p. 32.)) il est admis qu’une **simple faute, même légère**, engage la responsabilité de son auteur dès lors qu’elle a causé le dommage subi par le demandeur. En vertu de l’article 1383 du Code civil, il peut s’agir d’une erreur, d’une imprudence ou d’une négligence. Mais il peut également s’agir d’une violation intentionnelle ou malicieuse des obligations de l’expert.\\ Aujourd’hui((A la différence de la jurisprudence du XIXe siècle qui prenait en compte essentiellement le dol et la fraude, car seules ces fautes d’intention pouvaient être reprochées à un magistrat, CA Dijon, 25 juil. 1854, D. 1854, 1, p. 249 ; CA Pau, 30 déc. 1863, S. 1864, 2, p. 32.)) il est admis qu’une **simple faute, même légère**, engage la responsabilité de son auteur dès lors qu’elle a causé le dommage subi par le demandeur. En vertu de l’article 1383 du Code civil, il peut s’agir d’une erreur, d’une imprudence ou d’une négligence. Mais il peut également s’agir d’une violation intentionnelle ou malicieuse des obligations de l’expert.\\
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 Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut citer :\\ Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut citer :\\
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-**II.1.1.1 le fait de ne pas s’être comporté comme l’aurait fait un homme de l’art** normalement prudent, diligent, compétent et informé. Il s’agit de la référence implicite au concept traditionnel du « bon père de famille » applicable sur le terrain de 1382 C. civ. Il en va ainsi d’une **erreur ou d’une négligence que n’aurait pas commise un technicien avisé et consciencieux :**\\+== II.1.1.1 ==  
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 +**Le fait de ne pas s’être comporté comme l’aurait fait un homme de l’art** normalement prudent, diligent, compétent et informé. Il s’agit de la référence implicite au concept traditionnel du « bon père de famille » applicable sur le terrain de 1382 C. civ. Il en va ainsi d’une **erreur ou d’une négligence que n’aurait pas commise un technicien avisé et consciencieux :**\\
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   * par exemple, le fait pour un **expert artistique** de donner une fausse affirmation d’authenticité. Selon les textes (D. 11 déc. 1945), les indications portées au catalogue engagent la responsabilité solidaire de l’expert et du commissaire-priseur, et la Cour de cassation a précisé, à propos d’un expert judiciaire, que « //à l’égard de l’acquéreur, l’expert qui affirme l’authenticité d’une œuvre d’art, sans assortir celle-ci de réserves engage sa responsabilité sur cette seule affirmation// »((Cass. 1e civ., 17 déc. 2009, n°07-20.051 et 08-14.095. V. déjà, Cass. 2e civ., 6 mars 2008, n°04-12.042.)) ;\\   * par exemple, le fait pour un **expert artistique** de donner une fausse affirmation d’authenticité. Selon les textes (D. 11 déc. 1945), les indications portées au catalogue engagent la responsabilité solidaire de l’expert et du commissaire-priseur, et la Cour de cassation a précisé, à propos d’un expert judiciaire, que « //à l’égard de l’acquéreur, l’expert qui affirme l’authenticité d’une œuvre d’art, sans assortir celle-ci de réserves engage sa responsabilité sur cette seule affirmation// »((Cass. 1e civ., 17 déc. 2009, n°07-20.051 et 08-14.095. V. déjà, Cass. 2e civ., 6 mars 2008, n°04-12.042.)) ;\\
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   * par exemple, le fait pour l’expert, chargé d’évaluer la valeur d’une propriété, de **négliger de se procurer un certificat d’urbanisme** fixant les conditions de constructibilité du terrain ; \\   * par exemple, le fait pour l’expert, chargé d’évaluer la valeur d’une propriété, de **négliger de se procurer un certificat d’urbanisme** fixant les conditions de constructibilité du terrain ; \\
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-**II.1.1.2. A côté de l’erreur technique que n’aurait pas commise l’expert normalement prudent et diligent, la JP relève plusieurs manquements fautifs aux obligations de l’experts spécifiées dans le Code de procédure civile.** Il s’agit :\\+== II.1.1.2. == 
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 +**A côté de l’erreur technique que n’aurait pas commise l’expert normalement prudent et diligent, la JP relève plusieurs manquements fautifs aux obligations de l’experts spécifiées dans le Code de procédure civile.** Il s’agit :\\
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   * **des manquements des experts aux exigences fondamentales d’indépendance, d’objectivité et d’impartialité** que leur impose la nature même de leur mission (obligation d’accomplir sa mission avec conscience, objectif et impartialité selon l’art. 237 CPC) ; ainsi devra-t-il faire connaître spontanément ses liens éventuels avec l’une des parties et même refuser la mission lorsque ces liens seront trop étroits ; s’agissant du manquement **au principe de la contradiction**, la responsabilité de l’expert peut être engagée pour non-respect des dispositions de l’article 237 du CPC. On notera à cet égard que **si l’expert ne doit pas dire le droit, il ne peut l’ignorer et surtout pas les règles du procès équitable.**\\   * **des manquements des experts aux exigences fondamentales d’indépendance, d’objectivité et d’impartialité** que leur impose la nature même de leur mission (obligation d’accomplir sa mission avec conscience, objectif et impartialité selon l’art. 237 CPC) ; ainsi devra-t-il faire connaître spontanément ses liens éventuels avec l’une des parties et même refuser la mission lorsque ces liens seront trop étroits ; s’agissant du manquement **au principe de la contradiction**, la responsabilité de l’expert peut être engagée pour non-respect des dispositions de l’article 237 du CPC. On notera à cet égard que **si l’expert ne doit pas dire le droit, il ne peut l’ignorer et surtout pas les règles du procès équitable.**\\
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 A cette frilosité, **s’ajoutent des difficultés plus concrètes** que les juges rencontrent lors de l’accomplissement de leur mission. En effet, il n’est pas **aisé de constater la faute d’un technicien dans un contexte où, par définition** puisqu’il a sollicité l’avis d’un expert, **le juge n’est pas compétent.**\\ A cette frilosité, **s’ajoutent des difficultés plus concrètes** que les juges rencontrent lors de l’accomplissement de leur mission. En effet, il n’est pas **aisé de constater la faute d’un technicien dans un contexte où, par définition** puisqu’il a sollicité l’avis d’un expert, **le juge n’est pas compétent.**\\
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-**II.1.2. La conception stricte de la faute** de l’expert se situe donc à contre courant du mouvement contemporain évoqué à titre liminaire d’élargissement des conditions de mise en jeu de la responsabilité civile.\\+== II.1.2. == 
 +\\ 
 +**La conception stricte de la faute** de l’expert se situe donc à contre courant du mouvement contemporain évoqué à titre liminaire d’élargissement des conditions de mise en jeu de la responsabilité civile.\\
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 On en veut pour exemple les **erreurs fautives. Toute erreur commise par l’expert n’est pas nécessairement fautive**. Une erreur technique ou scientifique ne pourra être considérée comme une faute civile **que si elle n’aurait pas été commise par un expert normalement prudent et diligent**, de la même spécialité et placé dans les mêmes circonstances que l’expert en cause.\\ On en veut pour exemple les **erreurs fautives. Toute erreur commise par l’expert n’est pas nécessairement fautive**. Une erreur technique ou scientifique ne pourra être considérée comme une faute civile **que si elle n’aurait pas été commise par un expert normalement prudent et diligent**, de la même spécialité et placé dans les mêmes circonstances que l’expert en cause.\\
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 Ainsi, à l’occasion de la célèbre affaire de Pont-Saint-Esprit, un expert avait été nommé afin d’établir l’origine de la toxicité du pain, dont la consommation avait coûté la vie à cinq habitants. Pressé par les événements, il a affirmé, sans véritable justification, que l’intoxication provenait de la mauvaise qualité de la farine. A la suite de cet avis, le minotier (proprio de l’établissement dans lequel on prépare les farines destinées au commerce) qui avait livré la farine a été incarcéré. Or, il s’est finalement avéré que, si la maladie avait bien été provoquée par la farine, la mouture réalisée par le meunier n’était pas en cause. Malgré l’erreur de l’expert, sa responsabilité n’a pas été engagée, faute pour le demandeur de démontrer qu’il n’avait pas été consciencieux ni diligent((CA Nîmes, 18 fév. 1959, JCP G 1959, II, 11374, note Vienne.)). \\ Ainsi, à l’occasion de la célèbre affaire de Pont-Saint-Esprit, un expert avait été nommé afin d’établir l’origine de la toxicité du pain, dont la consommation avait coûté la vie à cinq habitants. Pressé par les événements, il a affirmé, sans véritable justification, que l’intoxication provenait de la mauvaise qualité de la farine. A la suite de cet avis, le minotier (proprio de l’établissement dans lequel on prépare les farines destinées au commerce) qui avait livré la farine a été incarcéré. Or, il s’est finalement avéré que, si la maladie avait bien été provoquée par la farine, la mouture réalisée par le meunier n’était pas en cause. Malgré l’erreur de l’expert, sa responsabilité n’a pas été engagée, faute pour le demandeur de démontrer qu’il n’avait pas été consciencieux ni diligent((CA Nîmes, 18 fév. 1959, JCP G 1959, II, 11374, note Vienne.)). \\
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-**II.1.2.1.** S’agissant de l’erreur dans le **travail matériel** (touchant les opérations matérielles de mesure, transcription, description), on doit tenir compte des **moyens techniques** raisonnables à la disposition de l’expert au moment des opérations.\\+== II.1.2.1. == 
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 +S’agissant de l’erreur dans le **travail matériel** (touchant les opérations matérielles de mesure, transcription, description), on doit tenir compte des **moyens techniques** raisonnables à la disposition de l’expert au moment des opérations.\\
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 Est fautif le fait de donner un avis catégorique après une analyse graphologique alors que la science ou la technique utilisée ne peut conduire à des résultats exacts ou incontestables((TGI Paris, 26 avril 1978, Gaz. Pal. 1978, 2, jur., p. 449 ; note F. Thorin.)).\\ Est fautif le fait de donner un avis catégorique après une analyse graphologique alors que la science ou la technique utilisée ne peut conduire à des résultats exacts ou incontestables((TGI Paris, 26 avril 1978, Gaz. Pal. 1978, 2, jur., p. 449 ; note F. Thorin.)).\\
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-**II.1.2.2.** S’agissant de l’erreur dans le **travail d’analyse** (menée sur les informations recueillies), ce dernier comportant un degré **d’aléa plus important** que le travail matériel, la responsabilité de l’expert ne pourra être retenue qu’en présence d’une **erreur manifeste**.\\ +== II.1.2.2. == 
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 +S’agissant de l’erreur dans le **travail d’analyse** (menée sur les informations recueillies), ce dernier comportant un degré **d’aléa plus important** que le travail matériel, la responsabilité de l’expert ne pourra être retenue qu’en présence d’une **erreur manifeste**.\\ 
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 Est fautif l’expert qui n’a pas pris en compte tous les éléments recueillis ou a omis d’effectuer des investigations indispensables et évidentes((Cass. 2e civ., 20 juil. 1993, n°92-11.209.)).\\ Est fautif l’expert qui n’a pas pris en compte tous les éléments recueillis ou a omis d’effectuer des investigations indispensables et évidentes((Cass. 2e civ., 20 juil. 1993, n°92-11.209.)).\\
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-**II.1.2.3.** S’agissant de l’erreur dans le travail de **rédaction** (erreur de saisie), par exemple, la retranscription d’un mauvais taux d’incapacité par la suite d’une erreur de dactylographie((Cass. 2e civ., 8 oct. 1986, préc. Ici la responsabilité de l’expert a été retenue (il avait mentionné par suite d’une erreur de dactylographie une incapacité permanente partielle de la victime de 30% au lieu de 3%) à l’égard de l’assureur de l’auteur de cet accident.)), l’expert ne répond pas d’une erreur si évidente qu’elle est décelable par toute partie au litige et par le juge.\\+== II.1.2.3. == 
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 +S’agissant de l’erreur dans le travail de **rédaction** (erreur de saisie), par exemple, la retranscription d’un mauvais taux d’incapacité par la suite d’une erreur de dactylographie((Cass. 2e civ., 8 oct. 1986, préc. Ici la responsabilité de l’expert a été retenue (il avait mentionné par suite d’une erreur de dactylographie une incapacité permanente partielle de la victime de 30% au lieu de 3%) à l’égard de l’assureur de l’auteur de cet accident.)), l’expert ne répond pas d’une erreur si évidente qu’elle est décelable par toute partie au litige et par le juge.\\
 Quand bien même la faute de l’expert serait retenue par le juge, sa responsabilité ne saurait être systématiquement accueillie. En effet,  deux autres conditions doivent être réunies. Là encore on s’aperçoit que la preuve de leur présence est difficile.\\ Quand bien même la faute de l’expert serait retenue par le juge, sa responsabilité ne saurait être systématiquement accueillie. En effet,  deux autres conditions doivent être réunies. Là encore on s’aperçoit que la preuve de leur présence est difficile.\\
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 Les deux autres conditions de mise en œuvre de la responsabilité civile des experts est le dommage et le lien de causalité entre la faute et ce dernier.\\ Les deux autres conditions de mise en œuvre de la responsabilité civile des experts est le dommage et le lien de causalité entre la faute et ce dernier.\\
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-II.2.2. Lien causal\\+ 
 +== II.2.2. Lien causal ==
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 Pour la Cour de cassation, le critère du lien causal se trouve en principe exprimé dans l’enseignement constant selon lequel un rapport causal existe entre une faute et un dommage lorsqu’il peut être affirmé que, **sans la faute, le dommage ne se serait pas produit tel qu’il s’est réalité //in concreto//** (12 janv. 1988 et 8 oct. 1992).\\ Pour la Cour de cassation, le critère du lien causal se trouve en principe exprimé dans l’enseignement constant selon lequel un rapport causal existe entre une faute et un dommage lorsqu’il peut être affirmé que, **sans la faute, le dommage ne se serait pas produit tel qu’il s’est réalité //in concreto//** (12 janv. 1988 et 8 oct. 1992).\\
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-II.3. La mise en œuvre de la responsabilité dans le temps par la prescription de l’action en responsabilité  + 
 +== II.3. La mise en œuvre de la responsabilité dans le temps par la prescription de l’action en responsabilité  == 
 +\\ 
 +La réforme de la prescription en matière civile par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 a déjà fait l’objet de plusieurs publications mais les modalités d’application restent à éclaircir((V. D. Lencou « la prescription de l’action en responsabilité civile contre l’expert judiciaire après la loi du 11 février 2004 modifiant la loi du 29 juin 1971 », Experts, n°69 p. 17;  A.Gaillard, D. Lencou et D.Znaty : « Vers une nouvelle prescription de l’action en responsabilité civile contre l’expert », Experts, n°78 p.135  et  D. Lencou « La réduction à cinq ans de la durée de la prescription de l’action en responsabilité civile contre l’expert judiciaire » Experts, n° 79 p.10)). \\ 
 +\\ 
 +Après avoir entendu les représentants des experts de justice, qui souhaitaient la modification de l’article 6-3 de la loi du 29 juin 1971 qui disposait que « //l’action en responsabilité dirigée contre un expert pour des faits se rapportant à l'exercice de ses fonctions se prescrit par dix ans à compter de la fin de sa mission// » en substituant « cinq » à « dix », le parlement a abrogé ce texte et renvoyé la prescription de l’action en responsabilité contre un expert dans le droit commun((Voir  rapport de Monsieur Blessig n°847 page 93 : audition à l’assemblée générale de Pierre Loeper et Dominique Lencou)). \\ 
 +\\ 
 +La prescription consiste…\\ 
 +\\ 
 +Il ne faut pas perdre de vue que e délai de droit commun de la prescription extinctive doit constituer un juste équilibre ; il ne doit pas être trop long pour assurer la sécurité sans entraver le commerce juridique, qui doit rester conforme aux progrès technologiques (des transports et des moyens de télécommunication) et permettre de réduire le coût de conservation des preuves. Il ne doit pas être trop court pour éviter les injustices et le jugement moral de récompense d’un comportement fautif. \\ 
 +\\ 
 +L’application du droit commun peut constituer une simplification de notre droit et des contraintes qui pèseront sur les experts de justice dans le temps mais pose des difficultés en terme de définition du point de départ et de computation des délais.\\ 
 +\\ 
 + 
 +== II.3.1. Le  point de départ == 
 + \\ 
 +L’article 2224 du Code civil fixe le point de départ du délai de prescription au « //**jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits**// » lui permettant d’exercer l’action en justice. Le point de départ de la prescription n’est pas très facile à cerner et posera des difficultés aux experts pour savoir quand ils seront définitivement libérés du fardeau de la preuve de l’accomplissement de leurs diligences.\\ 
 +\\ 
 + 
 + 
 +== II.3.1.1. Le point de départ « glissant » == 
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 +  * __La définition du point de départ « glissant »__ est conforme à l’article 2234 du Code civil et reprend la jurisprudence selon laquelle la prescription ne court pas tant que le créancier ignore l’existence ou l’étendue de la créance ou se trouve dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. Cette définition laisse une grande marge d’appréciation au juge pour fixer le point de départ du délai permettant au créancier d’exercer l’action en justice.\\ 
 +\\ 
 +  * __L’application aux experts du point de départ « glissant »__ pose la question de savoir à partir de quel moment une personne, qui pourrait se plaindre des agissements d’un expert, aurait connaissance d’un éventuel droit à réparation dans le cadre d’une action en responsabilité civile.\\ 
 +\\ 
 +La réponse à cette question n’est pas simple et avant d’essayer d’y répondre il convient de rappeler que toute personne qui pourrait subir un préjudice qui trouverait son origine dans l’accomplissement de sa mission par  un expert pourrait engager une action en responsabilité dans les conditions de droit commun. __**Désormais, il est indispensable que les experts s’assurent que les parties aient eu connaissance de leurs avis**__. En fonction de la nature de la mission, leurs diligences et leurs préoccupations pourront être différentes.\\ 
 +\\ 
 +  * **En matière civile**, avant la loi du 17 juin 2008, la plupart des experts considéraient, avec juste raison, que le point de départ était le dépôt du rapport et il semblait admis que cet acte dessaisissait l’expert et mettait fin à sa mission. L’abrogation de l’article 6-3 et l’application des dispositions de droit commun sur la détermination du délai « glissant » va obliger les experts à mettre en œuvre des diligences pour connaître avec précision le « **//jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits//** ». Ce jour où les parties auront connaissance de l’avis de l’expert peut varier, jusqu’à se situer le jour de l’audience, selon que l’expert présente au juge son avis, soit sous forme verbale à l’audience soit sous la forme d’un rapport écrit déposé au greffe, ou intervient après le dépôt de ce dernier.\\ 
 +\\ 
 +Sur le fondement de l’article 173 du Code de procédure civile, **la notification d’une copie du rapport à chaque partie permettra de faire courir le délai de cinq ans** dans les conditions de l’article 2224 du Code civil et la principale difficulté de détermination du point de départ se rencontrera en l’absence de dépôt de rapport par l’expert lorsque la communication sera effectuée par les greffes comme en matière pénale.\\ 
 +\\ 
 +  * **En matière pénale**, conformément à l’article 167 du Code de procédure pénale, c’est le juge d’instruction qui donne connaissance des conclusions des experts et la difficulté pourra provenir de la connaissance par l’expert du jour de la notification. Afin de leur permettre de déterminer avec précision le jour où les parties auront eu connaissance de leur avis, les experts pourront demander au juge d’instruction l’autorisation de communiquer les conclusions de leur rapport aux officiers de police judiciaire chargés de l’exécution de la commission rogatoire, au procureur de la République ou aux avocats des parties. Si le juge ne l’estime pas opportun les experts auront la faculté de lui demander la date de la notification aux parties. \\ 
 +\\ 
 +  * **En matière administrative**, la situation est différente car le Code de justice administrative ne prévoit expressément que des cas de retard ou de carence pour mettre en cause la responsabilité de l’expert, personne privée collaborateur occasionnel de service public. Le régime de responsabilité de l’expert présente une dualité, source d’incertitude en matière d’application des règles de prescription.\\ 
 +  - Si l’assignation vise l’expert collaborateur du service public pour faute personnelle devant les tribunaux judiciaires, la notification du rapport par le greffe aux parties présente l’avantage d’éviter toute contestation des parties sans pour autant permettre à l’expert de connaître le jour exact où les parties ont bien eu connaissance de son avis.\\ 
 +  - Si l’assignation vise l’Etat devant les tribunaux administratifs, le problème se pose différemment car il ne s’agit plus de prescription mais de déchéance quadriennale. La déchéance court à  compter du fait générateur même si l’ampleur du dommage ne peut être déterminée à condition que le créancier ait eu connaissance des faits qui sont à l’origine du dommage.\\ 
 +\\ 
 +Qu’il s’agisse de prescription de cinq ans ou de  déchéance de quatre ans le point de départ du délai est toujours la connaissance par l’éventuelle victime des faits à l’origine de son préjudice et l’article R.621-9 du Code de justice administrative sera particulièrement bien accueillie par les experts qui disposeront du moyen de connaître avec précision la date de la connaissance par les parties de leur avis.\\ 
 +\\ 
 +A priori **__le délai devrait démarrer dès la notification du rapport__** effectuée en matière civile conformément à l’article 173 du Code de procédure civile et en matière administrative dans les conditions de l’article R. 621-9 du Code de justice administrative. En matière pénale, il paraît opportun de prendre toute mesure pour savoir quand les parties ont eu communication de l’avis de l’expert. En tout état de cause les rares difficultés qui seront rencontrées seront compensées par la règle du délai butoir.\\ 
 +\\ 
 +== II.3.1.2. Le délai butoir == 
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 +Innovation majeure conduisant à la déchéance du droit d’agir au bout d’un certain temps, l’article 2232 du Code civil instaure un délai butoir de 20 ans à partir du jour de la naissance du droit.  Le report du point de départ par la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. Les exceptions à la règle du délai butoir prévues par l’alinéa 2 de l’article 2232 du Code civil ne concernent pas l’activité des experts judiciaires, qui seront en tout état de cause libérés de tout fardeau de conservation de la preuve de leurs diligences 20 ans après le dépôt de leurs rapports. \\ 
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 +== II.3.2. La computation du délai == 
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 +La durée de cinq ans à compter du dépôt du rapport et la notification aux parties mérite quelques précisions en matière de décompte du délai et  entraîne des conséquences pratiques qui ne peuvent être négligées.\\ 
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 +== II.3.2.1 – Les difficultés de décompte du délai. == 
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 +Détaillé aux articles 640 à 647 du Code de procédure civile et aux articles 2228 et 2229 du Code civil, le principe de computation semble simple puisque, selon les articles 2228 et suivants du Code civil, la prescription se compte par jours, et non par heures. Elle est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli. Cependant, les circonstances de chaque espèce peuvent entraîner des difficultés et les innovations majeures de la loi ont trait aux incidents qui peuvent perturber le cours de la prescription pour la suspendre ou l’interrompre.\\ 
 +\\ 
 +  * **La suspension**, de la prescription, selon l’article 2230 du Code civil, « **en arrête temporairement le cours … sans en effacer le délai déjà couru**. » L’événement qui suspend la prescription est celui qui met le titulaire du droit dans l’impossibilité de l’exercer. Il suspend momentanément le cours de la prescription durant une certaine période, à l’expiration de laquelle elle recommence à courir, sans que l’utilité du délai antérieur ne soit perdue.\\ 
 +\\ 
 +- __Les anciennes causes de la suspension__ tendaient à protéger les incapables et sont confirmées dans le nouvel article 2235 du Code civil. Il convient de se poser la question de savoir si les experts qui devront donner un avis sur des situations concernant des mineurs ou des incapables pourraient voir le délai de prescription interrompu jusqu’au moment où ces derniers seraient en mesure de faire valoir leurs droits ? Ce pourrait être le cas de violences sur des nourrissons pour lesquels un juge demanderait l’avis d’un expert. Avant la loi du 17 juin 2008 le délai de prescription de dix ans débutait à la majorité de l’enfant ce qui pouvait prolonger le délai à 28 ans après le dépôt du rapport. La combinaison de l’article 2235 du Code civil, sur la protection des mineurs, et la règle du délai butoir prévue à l’article 2232 devrait limiter ce délai à 20 ans à compter des faits.\\ 
 +\\ 
 +- __Les nouvelles causes de la suspension__ résultent d’un empêchement résultant de la loi, d’une convention ou de la force majeure ainsi que de celles qui concernent la négociation et la demande de mesures d’instruction.\\ 
 +\\ 
 +--> L’article 2234 du Code civil dispose que « //La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure// ». Ainsi, **chaque expert devra apprécier chaque situation pour décider de conserver ses archives lorsque la prescription pourrait être suspendue.**\\ 
 +\\ 
 +Il est indiscutable que le point de départ du délai de prescription pour une personne qui dispose de la pleine capacité juridique est la notification du rapport.  La grande nouveauté de la loi est prévue à l’article 2238 du code civil et consiste en la **possibilité de suspendre la prescription pour cause de négociation**. Les experts pourront rencontrer cette situation lorsque leur assureur entreprendra une négociation avec la personne souhaitant engager leur responsabilité. Si tel est le cas, il faut que le point de départ du délai de prescription reste la notification du rapport de l’expert et si une suspension intervient pour cause de négociation il faudrait contraindre l’assureur à informer l’expert de la transaction intervenue.\\ 
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 +--> Le législateur a voulu favoriser **les mesures d’instruction in futurum** par l’article 2239 du Code civil. Il s’agit de l’application de l’article 145 du Code de procédure civile, qui prévoit la possibilité, avant tout procès, d’obtenir du juge, en référé ou sur requête, des mesures pour permettre de conserver ou d’établir des preuves.\\  
 +Le législateur aurait pu choisir l’interruption plutôt que la suspension dans la mesure où il y a bien le réveil du titulaire d’un droit, mais il faut reconnaître que la frontière est difficile à cerner.\\ 
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 +  * **L’interruption**, de la prescription, prévue par l’article 2231 du Code civil, « //efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien// ». La loi du 17 juin 2008 reprend les causes d’interruption propres à la prescription extinctive qui sont au nombre de trois, la reconnaissance du droit, l’acte d’exécution forcée qui matérialise le réveil du créancier et la citation en justice qui intéresse les experts dans ses conditions, son étendue et sa remise en cause.\\ 
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 +- L’article 2241 du Code civil dispose que « //la **demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription** ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure// ».\\ 
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 +- L’article 2242 du Code civil dispose que « //l’interruption résultant de la demande en justice produit ses **effets jusqu’à l’extinction de l’instance**// »,  ce qui semble plus clair de prime abord mais qui l’est moins lorsque l’on se pose la question de l’instance ayant donné lieu à une décision irrévocable. L’action en justice tant au principal qu’en référé interrompt la prescription. Il convient de remarquer que l’assignation en référé qui tend à obtenir une provision constitue une action en justice interruptive de la prescription. Selon l’alinéa 2 de l’article 2241, l’assignation devant un juge incompétent n’interrompt pas la prescription.\\ 
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 +- L’article 2243 du Code civil dispose que «// l’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance, ou si sa demande est définitivement rejetée// ». 
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 +== II.3.2.2 - les conséquences pratiques : == 
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 +__L’abrogation de l’article 6-3 et l’application des dispositions de droit commun__ vont entraîner pour les experts un allégement de la durée de conservation des preuves de leurs diligences mais il convient de cerner les règles de droit transitoire avant de procéder à la computation des délais.\\ 
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 +  * **Le droit transitoire** 
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 +__L’article 2 du Code civil__ a fixé le principe d’ordre public de non rétroactivité des lois à laquelle la réforme de la prescription ne peut déroger.\\ 
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 +--> __Selon l’article 2 du Code civil__, « //la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif// ».  Ainsi, la loi qui avance le départ du délai doit être traitée comme une loi qui abrège le délai, c'est-à-dire que le délai court au jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, ce qui était le cas de l'application de l'article 6-3 introduit par la loi du 11 février 2004. La lettre du 21 juillet 2004 du directeur des affaires civiles et du sceau confirmait cette application.\\ 
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 +--> __La loi du 17 juin 2008__ consacre deux textes au droit transitoire qui ne semblent pas déroger au principe de non rétroactivité des lois.    __L’article 2222 du Code civil__ dispose dans son alinéa 2  « …//En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, **ce nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle**, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ». Le II de l’article 26 de la loi selon lequel « Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription **s’appliquent __aux prescriptions__ à compter du jour de l’entrée en vigueur de la présente loi,** sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure », vient rajouter que la réduction de durée s’applique **« __aux prescriptions__ »**, ce qui concerne les missions achevées et non prescrites avant le 19 juin 2008. Ainsi, la loi consacre la jurisprudence constante selon laquelle **toute loi nouvelle s'applique immédiatement aux effets à venir des situations** juridiques non contractuelles **en cours au moment où elle entre en vigueur**.  La seule restriction est apportée par le III de l’article 26 qui dispose « lorsqu’une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente loi, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne.// »\\ 
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 +  * **Exemples pratiques :**\\ 
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 +Puisque les lois réduisant le délai de prescription s’appliquent aux prescriptions en cours, la prescription réduite ne commence à courir que du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle et il convient de proposer le tableau suivant, établi selon les préconisations de la lettre du 21 juillet 2004 et de la jurisprudence de la Cour de cassation qui précise qu’ « //en l’absence d’une volonté contraire, expressément affirmée, la loi ne peut produire effet que pour l’avenir, et que spécialement, lorsque le législateur réduit le délai d’une prescription, la prescription réduite ne commence à courir que de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle// ».\\ 
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 +===== Conclusion ===== 
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 +Il est indiscutable que l’abrogation de l’article 6-3 de la loi du 29 juin 1971 va alléger considérablement la charge de conservation des preuves de leurs diligences pour les experts mais il ne faut pas perdre de vue qu’il faut s’assurer que les parties ont bien été informées de l’avis donné pour apprécier leur éventuel droit. En l’absence de telle justification il est opportun pour les missions terminées avant le 19 juin 2008 de conserver les archives pendant au moins dix ans à compter de la fin de leurs missions.\\ 
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 +A l’avenir, il appartient aux experts, s’ils en ont la possibilité, de notifier leurs rapports aux parties ou de s’assurer auprès des juridictions de la date de la notification.\\ 
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 +Rarement tenu à réparation en raison de la réticence des tribunaux à constater la réunion des conditions de mise en jeu de sa responsabilité civile, l’expert peut, de surcroît, espérer obtenir versement de dommages et intérêts en agissant pour procédure abusive contre le justiciable qui l’a assigné (en cas de griefs ayant un caractère injurieux, par ex : atteinte à l’honorabilité et à la réputation de l’expert : Cass. 2e civ., 27 janv. 1988, inédit ; ou abus du droit d’agir en justice).\\ 
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 +Dans un tel contexte, rares sont les hypothèses dans lesquelles il paraît souhaitable d’engager une action en responsabilité civile contre un expert. 
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