Ce qu’il y a d’intéressant pour le chroniqueur de ce billet, c’est qu’écrivant dans l’indifférence générale, il peut tout dire, ou du moins tout ce que de saugrenu peut passer dans sa tête. Il peut rester trois mois sans rien produire, personne ne s’en émeut, personne ne s’inquiète si ce silence est conséquence de son état de santé ou de sa disparition… non rien ne vient troubler son silence, il peut écrire à sa guise, ce qu’il veut, personne ne s ‘en aperçoit. Par exemple, si j’écris que le deuxième vice-président de la CEACAP est un pauvre type et une ordure, il n’y aura personne pour s’en offusquer, et je ne serai pas viré. Autre chose, si j’écris un billet intitulé « Révoltez-vous » s’adressant à des experts judiciaires, on peut s’étonner de cette provocation à l’adresse d’un corps plutôt considéré comme stable et conservateur. Pourtant, et dans l’indifférence générale, je vais l’écrire ici.

Contrairement à Musset et aux romantiques, je ne pense pas que « les plus désespérés sont les chants les plus beaux ». Sans doute faut-il aller les chercher en amont, bien avant la désespérance, c’est-à-dire les chants de la révolte. Ceux-là ouvrent les yeux sur l’avenir et la vie, alors que les premiers les ferment sur le malheur et la mort.

En musique, chez Mozart l’apothéose de son Don Giovanni est atteinte quand ce dernier défie, même sans espoir, la statue du Commandeur. La révolte des esclaves Noirs s’est transmise grâce au « blues », sous la dureté de leur condition de vie, il y avait encore l’espérance et l’amour, l’élection de Barack Obama a tardivement, mais finalement, donné raison à leur patience.  J’aime le rock, notamment celui de la révolte pacifiste des jeunes blancs des années 60 contre la guerre du Viêt Nam. Ho Chi Minh, fin poète autant que politique, leur sera reconnaissant d’avoir aidé à mettre fin à ce bourbier sanglant et écologiquement désastreux avec le déversement de tonnes de défoliants et de napalm sur ce pays calme et non résigné. Pour déloger le Viet-cong, les soldats américains ont détruit à coup d’obus le palais impérial de Hué et les temples hindouistes Cham dans les collines d’Annam… les talibans afghans n’ont pas fait pire en explosant les statues bouddhistes de Bâmiyân en 2001. De quel côté est la civilisation ? Le film « Apocalypse now » de Coppola pose la question…

En littérature, je retiens mon souffle et palpite aux grincements céliniens du « Voyage au bout de la nuit » quand je lis : « Tant que le militaire ne tue pas, c’est un enfant. On l’amuse aisément. N’ayant pas l’habitude de penser, dès qu’on lui parle il est forcé pour essayer de vous comprendre de se résoudre à des efforts accablants ». Alors que je m’assoupis en parcourant les lignes sirupeuses et magdaléniennes de Proust.  Enfin, Rimbaud me plaît plus que Verlaine lorsqu’il débouche une bouteille pour trinquer avec lui ou écrire « Le bateau ivre », alors que l’autre le blesse de son pistolet et s’épuise ensuite en remords aux pieds de sa femme :

« Tout suffocant

Et blême quand

Je me souviens

Des jours anciens

Et je pleure. »

Et pourtant chez ces deux poètes, que leurs rimes sont belles d’une écœurante simplicité, et que leurs mots coulent d’une source limpide… mais empoisonnée.

En peinture, Kees Van Dongen (1) n’est jamais autant inspiré que lorsqu’il est en révolte contre la société, et qu’au début du siècle, anarchiste, il projette dans sa peinture une liberté de tons, rugissant alors comme un « fauve ». Comme Gustave Jossot (2) à la même époque, il clame sa révolte en proposant des illustrations dans la revue satirique « L’Assiette au beurre », ancêtre d’Hara-Kiri. Cette farouche indépendance n’aura duré que pendant qu’il vivait au Bateau Lavoir, fréquentant Derain, Matisse, Vlaminck et Picasso. Le succès, l’argent et les fêtes mondaines a