CLIMAT DE FRANCE (1953-1957), architecte Fernand Pouillon[1].

 C’est un programme de 6500 logements sociaux, soit pour 30 000 personnes environ, destiné à une population dite « musulmane ». Ce programme de « cité simple confort » bénéficie d’un équipement moindre que ceux de la « cité confort normal » à destination d’une population « européenne ». La différence résidait principalement dans la pauvreté des équipements sanitaires des logements à « simple confort », un séjour avec un évier dans un angle, des toilettes turques avec un petit lavabo, une ou deux chambres, l’ensemble faisant entre 40 et 50 m2. Certains plus petits logements étaient groupés par quatre autour d’un bloc sanitaire.

C’est le libéral Jacques Chevallier, à peine élu maire d’Alger, qui fait appel à Fernand Pouillon pour construire vite, beau et pas cher, afin de tenter de résorber les bidonvilles qui entravent le développement de la ville, d’atténuer les problèmes sociaux qui s’ensuivent, et d’étouffer la rébellion naissante. Pouillon est alors entouré d’une réputation d’architecte talentueux, capable de mener à bien les projets les plus difficiles, avec des budgets serrés.

Situé sur un terrain de 25 hectares des hauteurs de Bab-el-Oued, le projet a été réalisé en deux tranches, dont celui dit des « Deux cents colonnes » rassemble 4500 logements autour d’une vaste place rectangulaire, aux dimensions de la place du Palais Royal. Le projet regroupe également des bâtiments publics, école, mosquée, bureau de poste, dispensaire, hammam…

En 2012, Climat de France compte environ 60 000 habitants, soit le double de la population prévue au programme ; la cité s’est « bidonvillisée » à la verticale ; la cité manifeste et utopique de Fernand Pouillon craque, s’effrite et un pan entier s’écroule[2]. Peut-on encore rénover cette cité, ou faut-il la laisser se désagréger vaincue par la marée humaine, comme un rocher friable ? De façon plus générale, ces cités d’habitations posent la question de ces immeubles des années 50/60, en qualité et en nombre. Les « barres » de Climat de France ne sont plus entretenues, livrées à des locataires souvent défavorisés avec des familles nombreuses, pour lesquels l’importance historique ou les qualités architecturales des bâtiments qui les hébergent leur importent peu. La grande fratrie est vivable à la campagne, plus difficilement dans un appartement de banlieue urbaine.

Cet espoir de l’architecte, à la fois utopique et pathétique, mégalomane et humaniste, de loger le « peuple » dans les ors du pouvoir, Pouillon en fait son cheval de bataille : la pierre importée de Provence, utilisée à la place du béton comme ici à Climat de France, renvoie aux signes d’une architecture noble, la place urbaine géométrique et les colonnes de l’architecture font clairement références au Palais royal à Paris. Trente ans plus tard, l’architecte catalan Ricardo Bofill usera des mêmes procédés pour ses quartiers construits dans les villes nouvelles d’Ile de France, ou pour la place Catalogne à Paris, voulant édifier des « Versailles pour le peuple ». Dans « Mémoires d’un architecte »[3], Pouillon écrit : « J’ai la certitude que cette architecture est sans mépris. Pour la première fois peut-être dans les temps modernes, nous avions installés des hommes dans un monument. Et ces hommes qui étaient les plus pauvres de l’Algérie pauvre, le comprirent. C’est eux qui baptisèrent la grande place « les deux cents colonnes ». » Aujourd’hui, le « monument » de l’architecte s’effrite, et par dérision, les habitants de la Cité la nomme maintenant « Climat de Souffrance »… Ici à Alger, le peuple se moque bien d’habiter dans cette référence au Palais royal, et il s’est réapproprié ce lieu pour en faire sa propre architecture, une Casbah méditerranéenne, mais sans doute aussi, et il ne faut pas l’écarter, poussé par la nécessité… Les photos de Stéphane Couturier sur Climat de France ont été publiées dans un livre, chaque double page mettant en parallèle un portrait et un morceau de façade… les humains s’en sortent nettement mieux que l’architecture, c’est ce qui fait la richesse de l’Algérie (et non l’héritage colonial, comme le laissent croire certains nostalgiques)… Avec Climat de France et Djenan el-Hassan, je ne peux m’empêcher de les rapprocher d’images de bandes dessinées, celles de Peeters et Schuitten, Moebius ou Bilal, avec leurs villes en décomposition . Cette mutation est souvent inéluctable pour des villes construites d’un jet, comme Chandigarh ou Brasilia, sans que le temps puisse faire le tri, laissant aux hommes le soin d’accomplir cette tâche…

Vincent du Chazaud, le 14 novembre 2014

 

Vue aérienne sur Climat de France à Alger

 

Vue aérienne sur la Place du Palais Royal à Paris

 



[1] Œuvres remarquables de Fernand Pouillon :

En Algérie :

-Cité Diar el-Mahçoul (900 logements, 1953-54)

-Cité Diar es-Saada (730 logements, 1953-54)

-les nombreuses stations et hôtels de tourisme de la côte (Moretti, Sidi Ferruch, Zeralda, Club des Pins, Tipasa…)

-hôtels d’Oran, Ghardaïa, Timimoun, Annaba…

En France :

-immeubles du Vieux-port à Marseille (1947-1953)

-ensemble de logements La Tourette à Marseille (1948-1953)

-gymnase du CREPS à Aix en Provence en collaboration avec Jean Prouvé (1950)

-aérogare de Marseille-Provence à Marignane (1961)

-la résidence Le Parc à Meudon-la-Forêt (1961)

[2] Des photos de Stéphane Couturier « Alger, Climat de France » ont été exposées récemment à l’Hôtel des arts de Toulon, et des photos de Climat de France de Myriam Maachi-Maïza ont été accrochées sur les façades de l’Institut français d’Alger en mai-juin dernier.

[3] POUILLON Fernand, « Mémoires d’un architecte », Le Seuil, Paris 1968