Billet n°109 – LE THEATRE DES LOGES
Trois coups, boum, boum, boum, le rideau tombe, badaboum, découvrant la scène du Théâtre des Loges. Tous au théâtre ce soir ? Le Théâtre des Loges n’est pas logé dans une salle de théâtre, avec parterre, corbeille, poulailler, et de loges point. Ce nom de Théâtre des Loges est facétieux… Tout le monde est assis à la même enseigne : les bancs sans dossier sont rembourrés, et les chaises ont assises et dossiers en bois dur : c’est un théâtre populaire, au panier les privilèges… Les installations y sont frustes, car tout est donné pour les décors du théâtre, les costumes des acteurs, et c’est là le vrai don au spectateur en plus d’un jeu époustouflant.
La troupe, d’abord itinérante, a posé en 1989 ses costumes et décors dans un ancien lavoir de Pantin[1]. Côté décor, la salle possède encore, suspendues, les grandes cuves en acier qui servaient à bouillir l’eau, la charpente en bois de ce local artisanal reste apparente, le sol cimenté est imprégné de sueur et de vapeur. On est dans un lieu où sont visibles les marques de labeur, celui d’hier comme celui d’aujourd’hui : la vie d’artiste n’est pas une sinécure, c’est un travail dur. Les soirs de représentation, l’endroit devient féerique et colle merveilleusement aux acteurs et au répertoire. On y a vu jouer Yerma de Garcia Lorca, Andromaque de Racine, Le Revizor de Gogol, Le Misanthrope par deux fois, L’Avare, Les Fourberies de Scapin, Les Précieuses Ridicules, et j’en oublie, bientôt La Tempête de Shakespeare[2]…
Pour donner une telle qualité de spectacles, il aura fallu des heures de répétition dans le froid en hiver, des heures de mise au point du metteur en scène, durant lesquelles alternent remords et enthousiasmes pour atteindre à ce niveau de prestation offert au public. Je suis étonné que les critiques de théâtre ne franchissent pas le périphérique pour écouter et voir ces spectacles si bien ciselés, un beau travail d’artisan, que dis-je d’artistes, qu’ils donnent si peu à lire ou à entendre sur ce Théâtre des Loges : honte à eux, et c’est leur tort… Est-ce parce que les sièges ne sont pas assez rembourrés pour leurs culasses, leurs fiasses, leurs fonds de commerce, leurs rues aux pets, leurs gongonneurs ? Ou que le chef de troupe, trop accaparé par son travail, et de toute façon ça n’est pas dans sa philosophie, refuse d’entrer dans leur « jeu » médiatique ? Michel Mourtérot pratique son théâtre « à l’ancienne » : hiver répétitions à la dure dans la froidure, printemps rodage sur les planches du théâtre de Pantin, été tournée dans le sud-ouest de la France, automne retour sur la scène du Théâtre des Loges pour d’ultimes représentations.
Le chef de troupe, Michel Mourtérot, que le virus du théâtre a atteint dès son plus jeune âge, est emporté, joyeux, vif, autoritaire, inquiet puis décidé ; rien ne l’arrête alors, surtout quand s’agit de son théâtre et de Molière, Jean-Baptiste Poquelin, son modèle dans la vie et sur la scène. Une défaillance, une saison creuse, une remise en cause ? Hop, une pièce de Molière… Son remède pour chasser le spleen ? Jouer « Le Malade imaginaire » ou « Le Médecin malgré lui »… Des problèmes de trésorerie ? il entraîne sa troupe pour jouer « L’Avare ». Molière, c’est sa fontaine de jouvence, son eau de source, son lait maternel : il y puise une énergie, une jeunesse entraînant toute la troupe derrière, ou plutôt avec lui.
Argentine fut par deux fois une halte pour la troupe, quand elle descendait vers ses quartiers d’été aux flancs des Pyrénées, à Louvie-Juzon en vallée d’Ossau. Ce fut d’abord « Le Revizor », avec une soixantaine de spectateur, puis «Les Précieuses ridicules », près de cent cinquante spectateurs. Argentine, à la lisière de la Charente et de la Dordogne, ne compte que quatre habitants, six avec nous. Commencés à la lumière du jour, les spectacles se terminent dans la nuit, avec au milieu de la pièce cette belle lumière entre chien et loup. Ca se passait dans la cour de l’ancien presbytère, avec l’abside de l’église romane comme fond de scène. Les deux fois, après le spectacle les faces étaient réjouies, acteurs et spectateurs se sont mélangés pour ripailler et chanter jusque tard dans la nuit…
Les Précieuses Ridicules en Argentine
Le Révizor en Argentine
Le lendemain la troupe a plié bagages, scène et décors, ils sont partis. Nous sommes restés là, seuls, et pour combler le silence et le vide après un tel cyclone, nous avons entonné :
« Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens
Qui arrivent
Les comédiens ont installé leurs tréteaux
Ils ont dressé leur estrade
Et tendu des calicots
Les comédiens ont parcouru les faubourgs
Ils ont donné la parade
A grand renfort de tambour
Devant l’église une roulotte peinte en vert
Avec les chaises d’un théâtre à ciel ouvert
Et derrière eux comme un cortège en folie
Ils drainent tout le pays, les comédiens
Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens
Qui arrivent… »
C’est vraiment comme dans la chanson de Charles Aznavour que cela s’est passé en Argentine…
Vincent du Chazaud, le 20 avril 2018
[1]Théâtre des Loges, 49 rue des sept arpents à Pantin, à 3 minutes du métro Hoche
[2]« La Tempête » de William Shakespeare, spectacle donné au Théâtre des Loges de Pantin du27 avril au 1er juillet à Pantin, les vendredis, samedis à 20H30, dimanches à 16H30 ( Tarifs : 17€ / 11€ (chômeurs, étudiants, groupes) / 6€ (RSA, moins de 12 ans). Réservations au 01 48 46 54 73 et 06 15 23 80 28. Site : www.theatre-des-loges.fr