Voici le deuxième d’une série de cinq billets sur le thème des usages en architecture à travers les âges ; ils sont en quelque sorte la « saga de l’été ». Ils sont tirés du chapitre d’un livre co-écrit sous la direction de Léonard Querelle du CINOV Ergonomie (Syndicat national des cabinets conseils en ergonomie) et avec le soutien d’ADECAPE (Réseau des ergonomes internes), à paraître aux Éditions du Moniteur en septembre 2021 sous le titre « Intégrer les usages dans un projet architectural ». Ici, je dois remercier Claire Maillochon, des Éditions du Moniteur, dont la relecture a enrichi et éclairci le texte d’origine.

 

Billet n°149- Les usages en architecture à travers les âges (2/5)

  1. Le métier d’architecte et ses outils de conception

Le terme « architecte » n’est apparu en France qu’au début du xvie siècle, par emprunt au latin « architectus », lui-même dérivé du grec « arkhitekton », qui désignait un charpentier constructeur de bateau. Constructeur, maître maçon ou maître d’œuvre au Moyen Âge, à partir du xvie siècle, l’architecte quitta le chantier pour devenir un prestataire de services auprès de commanditaires, et un artiste influencé par les modes. Il s’installait dans un atelier, concevait un édifice répondant au rang de son commanditaire, en traçait les plans, qu’il remettait à un entrepreneur du bâtiment, et, parfois, dirigeait et surveillait le chantier. Pour l’architecture édilitaire, la pierre était souvent utilisée, quitte à la faire venir de loin si la région en manque. Le travail de l’architecte consistait alors à dessiner une façade principale suffisamment représentative de la fonction de l’édifice et de l’importance du commanditaire, et d’en dresser le plan et la coupe. Les détails de construction s’arrêtaient aux détails architectoniques, ainsi qu’aux sculptures et ferronneries qui embellissaient la façade.

Depuis la Renaissance, l’Antiquité grecque et romaine servit de modèle aux architectes. La création en 1666 de l’Académie de France à Rome, à l’initiative de Colbert, Le Brun, et Le Bernin, permit à de jeunes artistes de parfaire leur formation en se consacrant à la copie de l’Antique et de la Renaissance. Dans le même esprit, et pour encadrer les architectes, Colbert fonda cinq ans plus tard, en 1671, l’Académie royale d’architecture, qui eut pour premier directeur l’architecte François Blondel (1618-1686).

Cette conception du métier d’architecte se modifia avec l’apparition de nouveaux matériaux pour la structure porteuse, comme le fer et le béton armé, et l’ampleur de nouveaux programmes, comme les gares, dans la seconde moitié du xixe siècle. L’ingénieur, capable de calculer les sections pour les grandes portées, devint l’adjoint indispensable de l’architecte, quand le même homme ne possédait pas les deux fonctions. C’est l’époque où l’enseignement académique de l’architecture dispensé par l’École des Beaux-arts fut remis en cause. En 1865, les architectes « rationalistes », qui avaient pour chef de file Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879), fondèrent l’École spéciale d’architecture, avec pour directeur l’ingénieur Émile Trélat (1821-1907). Cette contestation s’intensifia, notamment avec le Mouvement moderne dans les années 1920, initié par l’architecte germano-américain Walter Gropius (1883-1969), quand il créa en 1919 l’École du Bauhaus à Weimar, en Allemagne, dont il fixa les orientations en opposition avec l’académisme ambiant, dans son manifeste fondateur de 1919 pour une synthèse des arts citant Volker Wahl : « Architectes, sculpteurs, peintres, nous devons tous revenir au travail artisanal, parce qu’il n’y a pas d’art professionnel. Il n’existe aucune différence essentielle entre l’artiste et l’artisan (…) Ayons la volonté, concevons et créons ensemble la nouvelle construction de l’avenir, qui embrassera tout en une seule forme : architecture, art plastique et peinture. » Dix ans plus tard fut créée l’Union des artistes modernes (UAM), à l’initiative d’artistes et d’architectes avant-gardistes, dont le premier président fut Robert Mallet-Stevens (1886-1945). À la même époque, Le Corbusier essaima, faute de pouvoir construire en période de crise, les idées du Mouvement moderne par des écrits théoriques, dans la revue L’Esprit nouveau avec le peintre Amédée Ozenfant, ou avec les publications Vers une architecture (1923) ou L’art décoratif aujourd’hui (1925), ou encore avec des projets théoriques volontairement polémiques comme la maison Citrohan (1920), projet de maison en série construite comme une automobile[1], ou le plan Voisin (1925), projet radical d’aménagement urbain pour Paris, de même que celui dit « Plan obus » pour Alger (1930). De 1928 à 1931, il réalisa la villa Savoye à Poissy, dont il fit son manifeste construit, avec les cinq points qui synthétisaient pour lui l’architecture moderne : les pilotis, le toit-terrasse, le plan libre, la fenêtre en longueur, et la façade libre.

Depuis la fin du xixe siècle le bâtiment s’est complexifié, notamment avec l’introduction du chauffage central, des équipements sanitaires, de l’électricité, ou encore de la ventilation mécanique. En plus des experts en structure, de nouveaux corps d’ingénieurs collaborent à l’acte de construire avec l’architecte. Enfin, avec le développement de l’informatique et des technologies numériques depuis la seconde moitié du xxe siècle, ce dernier voit ses outils de conception évoluer très rapidement, avec le passage de la planche à dessin à l’ordinateur, du dessin assisté par ordinateur (DAO), à la conception assistée par ordinateur (CAO), et maintenant au Building Information Modeling (BIM), c’est-à-dire un modèle facilitant les échanges entre tous les partenaires de l’acte de construire, et permettant de prévoir la gestion du bâtiment une fois construit.

  1. Architecture, mécanique et énergie

En milieu rural, l’habitation et les abris pour les animaux et les récoltes l’entourant dans ce groupe de constructions qu’on appelle la ferme n’ont guère évolué dans les petites exploitations agricoles. Beaucoup de ces corps de ferme encore debout aujourd’hui sont rénovés et recyclés en résidences secondaires, non sans quelques transformations pour les adapter au mode de vie actuel. La cheminée, autrefois élément majeur avec son utilisation pour la cuisine et le chauffage, est reléguée comme un instrument d’agrément, voire de luxe. Les pièces sont redistribuées, tandis que la cuisine et la salle de bains, inexistantes dans le plan initial, sont introduites. L’agriculture connut une évolution brutale avec la mécanisation, principalement après la Seconde Guerre mondiale. Les engins mécaniques prirent la place de la charrette, mais bientôt, leurs gros gabarits, comme celui de la moissonneuse-batteuse, imposèrent de nouvelles constructions, de vastes hangars à charpente et ossature métalliques couverts en tôles. L’industrialisation du bâtiment pénétra les campagnes avec ces installations.

Dans les villes, la relative stabilité de l’organisation sociale et économique fut rompue avec l’ère industrielle, comme dans de nombreuses autres sphères de l’activité humaine. L’industrie, comme l’extraction des minerais et matières premières indispensables à la production d’énergie et à la fabrication de matériaux de construction, nécessita une importante main d’œuvre puisée dans les campagnes, elles-mêmes moins demandeuses de bras avec la mécanisation, puis dans les colonies. Les besoins en logements étaient importants ; le Paris haussmannien fut ceinturé dès le début du xxe siècle par des cités de logements, dites habitations à bon marché (HBM), prenant place sur les anciennes fortifications de la ville devenues inutiles et qui étaient auparavant occupées par des taudis insalubres.

La mise au point de l’ascenseur modifia la distribution des logements haussmanniens, et permit de construire des immeubles de grande hauteur. Inspiré des monte-charges des mines, l’appareil, qui gravit sans nécessiter d’effort humain les étages, vint seconder l’escalier dès le milieu du xixe siècle. De ce fait, il inversa l’attribution des logements en fonction des niveaux. Auparavant, les surfaces se réduisaient, et les hauteurs de plafonds diminuaient, depuis les appartements bourgeois des premiers étages, jusqu’aux chambres de service sous les combles. Dans les années 1930, avec l’apparition des toits-terrasses et le développement d’ascenseurs sécurisés et autonomes, de vastes appartements furent prévus au dernier étage des immeubles, avec de larges terrasses ouvertes sur le ciel, globalement moins bruyants et moins pollués par la rue, où peu à peu le trafic automobile s’intensifiait. Avec l’apparition des tours et le développement d’ascenseurs de plus en plus sophistiqués et rapides, les appartements ou les bureaux dominèrent la ville, faisant naître la sensation pour leurs occupants de s’en soustraire.

Avec la modularité et la souplesse des structures architecturales apportée, notamment, par les grandes portées permises par l’utilisation de l’acier et du béton précontraint, les usages des immeubles de bureaux ou des édifices culturels évoluèrent. Ainsi, les salles de spectacles sont devenues « évolutives » pour s’adapter aux programmations (danse, théâtre, visions frontales à la scène ou sur sa périphérie). Le regroupement de plusieurs activités comme au Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou, qui comprend des expositions permanentes et temporaires, des salles de cinéma, de conférences et d’archives, ainsi que des bureaux, conduisirent les architectes lauréats du concours lancé en 1970, Renzo Piano et Richard Rogers, à adopter une architecture mécanique et fluide, destinée à libérer de vastes plateaux de murs porteurs. Ce programme progressiste les encouragea à réaliser une architecture novatrice, rompant avec le bâti environnant mais soucieuse du site où elle s’implantait, offrant au visiteur un panorama progressif exceptionnel sur Paris par son escalier mécanique extérieur suspendu en façade ouest[2].

Vincent du Chazaud, le 2 juillet 2021 

[1] Maison en série « Citrohan » (pour ne pas dire Citroën). Autrement dit, une maison comme mie auto, conçue et agencée comme un omnibus ou une cabine de navire. Les nécessités actuelles de l’habitation peuvent être précisées et exigent une solution. Il faut agir contre l’ancienne maison qui mésusait de l’espace (…) Il ne faut pas avoir honte d’habiter une maison sans comble pointu, de posséder des murs lisses comme des feuilles de tôle, des fenêtres semblables aux châssis des usines. Mais ce dont on peut être fier, c’est d’avoir une maison pratique comme sa machine à écrire. Extrait de Le Corbusier, Œuvre complète, volume 1, 1910-1929

 

[2]Extrait du rapport de Jean Prouvé, président du jury : « (…) La qualité des projets était cependant inégale, comme on pouvait s’y attendre compte tenu de l’état de transition où se trouve engagée l’architecture mondiale à l’heure actuelle (…) Le Centre n’occupe qu’une partie du plateau ; une place le raccorde au milieu environnant, elle pourra servir à diverses manifestations, expositions, etc. Cette conception de l’environnement du Centre a été jugée particulièrement intéressante par le jury (…) »