C’était presque à la mi-novembre. À la campagne, tout n’est pas fait pour le repos dans le calme et les odeurs de feuilles mortes… L’air sature du fumé du lisier répandu sur les champs mélangé à l’odeur de mazout de la chaudière du voisin, qu’un vent du nord porte vers notre jardin. Retentissent les coups de fusils des chasseurs et l’aboiement furieux de leurs chiens passant sous nos fenêtres, bientôt s’ajoute le ronflement rageur d’une tronçonneuse. Ce matin, ouvrant la fenêtre à l’étage de la maison, d’une nacelle un homme élague chez le voisin un vénérable et noble marronnier. Depuis bientôt deux siècles il avait bravé tous les aquilons venus du nord, tous les noroîts venus de l’ouest. Son port majestueux était un signal dans le paysage, ses larges feuilles apportaient une ombre de fraîcheur à son pied quand le soleil tape fort en été, ses marrons nourrissaient les bêtes venues se frotter à son écorce, les oiseaux y faisaient leurs couvées, au printemps les abeilles butinaient ses fleurs blanches et roses… 

De branches en branches coupées, bientôt l’arbre se retrouve nu, ce n’est plus un élagage, c’est bien la mort de l’arbre qui est commandée au tronçonneur… À midi, l’arbre est abattu, son tronc en morceaux, gît à terre. Ce n’est pas « La Mort du Loup » d’Alfred de Vigny, c’est la mort du marronnier ; il suffit de remplacer dans ses vers « sublimes animaux » par « arbres sublimes » :

       « Hélas ! Ai-je pensé, malgré ce grand nom d’Hommes,

      Que j’ai honte de nous, débiles que nous sommes !

     Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,

     C’est vous qui le savez, sublimes animaux !

      À voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse

      Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse. »

La raison d’un tel acte ? Argument pour ce crime contre nature ? On aurait espéré une repentance, un acte de contrition, une révolte contre eux-mêmes de leurs auteurs et de leur geste insensé… Non… L’argument ? Une surprime d’assurance pour le risque que l’arbre ferait peser sur les toitures, et ces débiles terminèrent leurs arguties par un bras d’honneur en ajoutant : « alors l’arbre, hein! ».

   

La mort du marronnier…

 

Heureusement, il n’y a pas que des mauvaises nouvelles cette semaine.

La libération de Boualem Sansal, otage du régime algérien depuis presque une année, est un soulagement. Il allait atteindre sa première année de détention des cinq années dont il a été condamné… À une année moins quatre jours, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal est sorti libre de sa geôle algérienne. Mais comme il l’écrivit à propos de l’indépendance de son pays en 1962, dans un discours prononcé en octobre 2011 lorsqu’il reçut le Prix de la Paix des libraires et éditeurs allemands, « La libération n’était pas la liberté ». C’est toujours vrai aujourd’hui, et cette liberté se fait attendre en Algérie. Boualem Sansal, pourtant lucide quant aux risques qu’il prenait en usant de sa liberté[1], en a payé un prix lourd, trop lourd… Très malade, les généraux et colonels algériens redoutaient que Boualem Sansal meure en prison… que faire de ce corps encombrant ? Quel mauvais signal envoyé au monde libre !

Boualem Sansal a été « gracié » par le président algérien. Mais de quelle « grâce » parle-t-il puisque Sansal n’est coupable de rien d’autre que d’écrire librement pour tenter d’approcher une vérité ! Imaginons que je dise ou écrive que l’Alsace fut allemande dans le passé, en fait partie intégrante de 962 à 1806 du Saint-Empire romain germanique, faudrait-il pour dire cette vérité que je sois emprisonné durant cinq années ?

Boualem Sansal derrière les barreaux…

Christophe Gleizes, otage français et autre prisonnier politique, mais il ne peut nous faire oublier tous les prisonniers politiques algériens enfermés dans les geôles algériennes, est toujours emprisonné… Arrêté en mai 2024 aux abords du stade de Tizi-Ouzou, il a été condamné à sept années de prison pour « apologie du terrorisme », en pleine crise politique franco-algérienne.

Le peuple algérien, accueillant et chaleureux, nous demande de venir dans leur beau pays… mais les autorités algériennes, querelleuses et sans scrupule, nous demandent de rester dans notre beau pays… 

Éric Fottorino, fondateur du « 1 », écrit en apprenant la libération de Boualem Sansal pour laquelle il a milité et s’est activé :

      « (…) Mais il existait aussi des raisons plus profondes, propres à la qualité d’écrivain de Boualem Sansal. 

      Car il est deux mots que ne supporte pas une dictature : liberté et vérité. 

      La liberté qui seule permet de débusquer la vérité. 

      La liberté d’aller et venir pour atteindre le réel. 

      La liberté de pensée pour témoigner. »

 

Et j’écris tout cela un 13 novembre 2025, dix ans après les terribles attentats qui firent 130 morts à Paris.    

Vincent du Chazaud le 13 novembre 2025

 

[1] Lors de cette remise de prix à Francfort, Sansal regrettait l’absence de l’ambassadeur d’Algérie en Allemagne : « Aujourd’hui, à travers ma personne, c’est l’Algérie et son peuple qui sont honorés. Cette chaise vide me désole et m’inquiète, j’y vois un mauvais signe, cela veut dire que ma situation au pays ne va pas s’améliorer, même en y ramenant un Prix de la paix… »