BILLET n°103 – ANDRÉ RAVÉREAU

 

André Ravéreau nous a quitté le 12 octobre 2017 vers 19h30, âgé de 98 ans. Maya sa fille nous a dit qu’il était parti dans son sommeil, sans douleur. Elle rappelait sa beauté d’âme, et son humour qui ne l’a pas quitté jusqu’au bout. Peu avant son décès, après s’être délecté d’un jus de raisin apporté spécialement pour lui par un ami, il eut ces mots : « c’est ça l’écologie, la sévérité avec la volupté, donc il n’est pas question de vertu… »

Le nom de Ravéreau doit résonner dans la tête de quelques-uns, des architectes questionneurs, des architectes découvreurs, des architectes voyageurs, ceux qui tournent autour de cette question cruciale : « Peut-on tout, n’importe où ? » André m’avait donné ses réponses que j’ai rassemblées dans un petit livre « Du local à l’universel »[1]. C’est le fruit d’une rencontre en juillet 2000, chez lui à Rafanel, près d’Aubenas en Ardèche, alors que sa femme, la photographe Manuelle Roche, vivait encore. Je plongeais à l’époque dans une thèse universitaire, l’action et la pensée de Ravéreau devaient en être la matière, le sujet. Lors de ce premier voyage j’ai compris la difficulté à faire ce travail du vivant d’un homme, qui plus est dans une région reculée d’accès difficile. En effet, après le train et le car, j’ai loué un scooter à Aubenas pour rejoindre Rafanel, et nous étions alors en été… Adieu la thèse, bonjour ce livre. Ce fut trois jours délicieux et passionnants, intenses en discussions « à bâtons rompus » comme dirait Jean Prouvé, dans son bureau capharnaüm, interrompues seulement par les venues discrètes de Manuelle soulevant le rideau pour nous encourager ou pour nous inviter à table. André m’a mis en dédicace du livre : « merci à Vincent pour la complaisance de son écoute ». Mais il n’y avait rien de complaisant, j’étais tout ouï… c’est après que ça s’est compliqué, quand il a fallu transcrire, car ça partait dans tous les sens. De plus, comme il bougeait sans cesse pour attraper une photo ou un document, l’enregistrement n’était pas toujours audible ! Ce fut un long travail de retranscription et de mise en ordre des propos sur sa vie retracée et ses réflexions sur l’architecture. Je rapporte à la suite, à peu près et partiellement, ce que j’écrivais en avant-propos de ce livre.

 

Avant cette première rencontre avec André Ravéreau en 2000, je le connaissais déjà, ayant été sur ses traces depuis 1977. Cette année-là, fraîchement diplômé, je voulais entamer un « tour du monde » pour parfaire ma formation dans l’esprit du « Tour de France » des Compagnons du devoir. L’offre affichée à l’Ecole pour un poste d’architecte des Monuments historiques à Alger me décida pour cette première étape, qui fut en réalité la seule. Je me suis fixé près de trois années dans un pays accueillant, magnifique et contradictoire. Je succédais en fait à André Ravéreau qui venait de quitter l’Algérie dans des conditions houleuses, abandonnant l’immense travail accompli pendant près d’un quart de siècle dans ce pays. Agé de vingt-cinq ans, sans expérience, il était pour moi hors de mes forces de relever les ruines de ce chantier abandonné. Entre-temps j’avais lu « Construire avec le peuple » d’Hassan Fathy[2], reçu un choc durable en découvrant le M’Zab, et fait la connaissance de Manuelle Roche qui enseignait la photographie à l’École des beaux-arts. Le M’Zab fut pour moi mon deuxième enseignement sur l’architecture, je dirai peut-être le premier sans vouloir peiner mes anciens professeurs de l’Ecole de Strasbourg. D’ailleurs le titre du livre que Ravéreau a consacré à cette région est évocateur, « Le M’Zab, une leçon d’architecture »[3]. En lisant les propos des architectes Philippe Lauwers ou Gilles Perraudin[4] sur le bénéfice qu’ils ont tiré de leur passage à l’Atelier du M’Zab fondé par André Ravéreau, atelier à la fois pédagogique en direction des étudiants, et pratique pour conserver et projeter une nouvelle architecture mozabite, je mesure combien la présence d’André m’a manqué.

 

Après l’avoir rencontré à Rafanel en 2000, ce manque a été en partie comblé, et c’est son «enseignement», au sens socratique du terme, mû par l’expérience, pétri d’humanisme et chargé de sagesse, que j’ai retranscrit dans ce livre, afin de le transmettre. Car je ne crois pas trahir André Ravérau en écrivant que ce fut constamment son souci, «transmettre » en « révélant », soit dans les ateliers qu’il a créés, soit dans les livres qu’il a écrits, dans une sorte de maïeutique grâce à laquelle chacun se rendrait finalement à l’ «évidence». Cette évidence, comme souvent, n’est que le fruit d’une longue quête, patiente, opiniâtre, ascétique même, et la faire partager demande une égale volonté. C’est sans doute un sentiment «religieux», dans le sens de relier les hommes entre eux et avec la nature, dans un souci de bien-être, qui anime André Ravéreau dans ses questionnements sur l’architecture.

 

Comme j’aurais voulu n’avoir rien construit jusqu’à ce mois de juillet 2000, en fait la dernière étape de mon « tour du monde » et de ma formation d’architecte, avant ma rencontre avec André à Rafanel en Ardèche. Il aura formé beaucoup d’architectes, beaucoup plus que s’il s’était enfermé dans une école d’architecture… comme Le Corbusier dans son atelier de la rue de Sèvres.

Adieu André, tu étais un maître, tu étais une belle âme…            

 

Vincent du Chazaud, 30 octobre 2017  

[1] A. Ravéreau, Du local à l’universel, propos recueillis par Vincent Bertaud du Chazaud, éditions du Linteau, Paris, 2007

[2] H. Fathy, Construire avec le peuple, Paris, Sindbad, 1970

[3] A. Ravéreau, Le M’Zab, une leçon d’architecture, éditions Sindbad, Paris, 1981

[4] R. Baudouï, Ph. Potié et div., André Ravéreau, l’atelier du désert. Marseille, Éd. Parenthèses, 2003