(1945-1975) FACE AUX NOUVEAUX ENJEUX DES GRENELLE 1 & 2: LES APORIES DE LA CONSERVATION ET DE LA RENOVATION A ROYAN

Le « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » de Rabelais pourrait être un slogan écologiste. En effet l’évolution technique qu’imposent les nouvelles règles des « Grenelle 1 et 2 » doit être devancée, sinon accompagnée, par une évolution des mentalités et des modes de vie. Un court exemple permet de comprendre: en effet il ne sert à rien de placer des ampoules basse consommation, du dernier cri technologique, si on ne prend pas la précaution de les éteindre. Le gaspillage, certes moindre, est toujours là.

 

La FRUGALITE doit prendre la place de la PRODIGALITE, et la règle écologique des « 3 R », réduire, recycler, réutiliser, devrait figurer aux frontons des mairies, ou du moins de leurs services d’urbanisme, sous les trois vertus républicaines, liberté, égalité, fraternité.

 

Cette prise de conscience est prioritaire pour le patrimoine des « Trente glorieuses », à cause de son importance, mais aussi du contexte d’insouciance à propos des problèmes énergétiques au moment de sa construction. Il faudra attendre la crise pétrolière de 1973 pour qu’un premier signal d’alarme soit tiré.

 

Selon les informations d’avril 2008 de l’ADEME, environ 43% de l’énergie consommée en France est affectée aux bâtiments, ceux-ci contribuant en outre à 22% de l’émission des gaz à effets de serre.

 

Selon les sources de la CAPEB, environ 55% des travaux du bâtiment sont affectés à la rénovation.

 

Enfin, selon l’historien Bernard TOULIER, le parc de construction du XXème siècle, dont une grande part issue de la deuxième moitié, représente plus de la moitié de l’ensemble du parc national, tous siècles confondus.

 

Ces trois informations pointent l’importance que l’on doit accorder à la rénovation de ce patrimoine récent, et inciter leurs propriétaires à améliorer leurs performances énergétiques, afin d’essayer de coller aux performances des bâtiments neufs « basse consommation ». Mais suivant leur époque de construction, les matériaux et techniques mis en œuvre, la situation est inégale pour arriver aux résultats exigés par les Grenelle.

 

L’exemple de Royan, ville détruite à la fin de la guerre et reconstruite à 90% dans les années 50, en est une bonne illustration. Entretien difficile, mauvaise qualité de matériaux, constructions énergivores, insertions urbaines délicates, espaces publics dégradés ou inachevés sont autant de critiques négatives qui sont accolées à l’architecture et l’urbanisme de la ville. Cette réception n’a pas été uniforme, et elle s’est déplacée en fonction des contextes et des époques.

 

Ces traitements différenciés ont forcément des conséquences sur la réception du patrimoine architectural d’après-guerre, qui peut être, soit conservé ou restauré, soit réhabilité ou rénové, soit abandonné ou reconverti, soit démonté ou détruit. Ces différentes réceptions de l’architecture sont fonction de sa valeur testimoniale, de sa valeur artistique, de sa valeur technique, auxquelles on peut ajouter sa valeur d’usage. Quelle est la légitimité à conserver un bâtiment devenu inutile ? Sans une capacité de reconversion, l’architecture peut, soit disparaître, soit se figer comme un objet de musée : dans ce dernier cas, certains y verront sa consécration.

 

Et que peut bien fai­re l’ar­chi­tec­te ayant en char­ge la mise en confor­mi­té d’édi­fi­ces mon­tés com­me des piè­ces d’hor­lo­ge­rie, ceux de cette 3ème décennie des Trente glorieuses, appelée « Croissance innovante » par l’historien Gérard Monnier ? Comment éviter d’en casser le mécanisme, comment retrouver des pièces ou en fabriquer de nouvelles, comme c’est le cas pour les piscines Tournesol de Bernard Schoeller ou la maison « Métropole » de Jean Prouvé à Royan? Ici les co­des tra­di­tion­nels de ré­no­va­tion n’ont plus cours. Cha­que cas est par­ti­cu­lier, les tech­ni­ques de sau­ve­gar­de à ré­in­ven­ter.

 

Doit-on trans­for­mer? Là peu­vent s’op­po­ser l’his­to­rien, le po­li­ti­que et le ci­toyen. Quand la rénovation d’un bâtiment des années « 50 » est acquise, les techniques employées aujourd’hui ne sont pas toujours adaptées. Et quand il y a refus administratif, la population ne comprend pas que l’on empêche des travaux qui sont censés apporter confort et économie. Deux exemples illustrent cette difficulté :

 

-Les capteurs solaires, de teinte sombre, ne s’intègrent pas aux tuiles rouges industrielles des bâtiments, qui sont à Royan comme un des symboles de l’architecture de la Reconstruction. De plus, l’inclinaison des toitures et leur orientation ne se prêtent pas toujours à un rendement maximum.

 

-Une isolation thermique extérieure peut modifier fondamentalement une architecture construite dans l’esprit du Mouvement moderne. Accepterait-on de carapaçonner la villa « Savoye » de Le Corbusier ? Non, pas plus la villa « Ombre blanche » de Bonnefoy à Royan.

 

Que conser­ver? Alors qu’il est fa­ci­le d’en­tre­po­ser des pein­tures, des sculp­tures dans les ré­ser­ves d’un mu­sée, en at­ten­dant d’être ré­per­to­riées, tri­ées, res­tau­rées, va­lo­ri­sées, on ne peut pas pro­cé­der aus­si fa­ci­le­ment avec l’ar­chi­tec­ture. Aus­si, de l’adap­ta­bi­li­té d’un bâ­ti­ment, de sa souplesse à insérer un programme nouveau, de sa capacité à se plier aux nouvelles exigences réglementaires, peut dé­pen­dre sa pé­ren­ni­té. C’est la souplesse d’adaptation qui fait d’un bâtiment sa raison d’être aujourd’hui, car tous les bâtiments conservés, protégés, ne pourront être transformés en musées. Certains projets ou réalisations, comme la rénovation de la Maison de la culture de Grenoble d’André Wogenscky par Antoine Stinco, ou le projet pour le Palais des congrés de Royan de Claude Ferret par Maria Godlewska font figures d’exemple.

 

Cette question liée à l’architecture se pose aussi pour l’urbanisme. De l’immeuble à la barre, de la barre à la tour, de la tour à la dalle, de la dalle à la cité, on pourrait ainsi aller de proche en proche jusqu’à la ville entière. Les villes récentes, construites d’une seule pièce, posent des questions différentes quant aux stratégies à développer pour leur protection et leur évolution. Royan offre un cas d’école intéressant. Construite d’un seul jet après guerre, alors que les signes de vieillissement apparaissent simultanément et brutalement, sa regénérescence doit être abordée dans sa globalité, sinon le risque est grand de faire perdre à la ville son identité. Construits très vite, parfois trop vite, architectures, quartiers et villes de l’Après-guerre ne doivent pas être jugés trop vite. Nous ne sommes plus dans l’urgence, et à l’objectif de « construire vite et beaucoup » doit maintenant répondre celui de « faire mieux et durable », que ce soit pour le neuf ou la rénovation.

 

L’avenir des architectures de la Croissance, leur conservation, leur entretien, leur adaptation, questions d’ailleurs qui touchent l’ensemble du patrimoine, demandent pour celles-ci de nouvelles dispositions intellectuelles et techniques. Ceci implique de nouvelles compétences au sein des entreprises du bâtiment, ainsi qu’une évolution dans la formation des architectes, des architectes des Bâtiments de France et des architectes en chef des Monuments historiques.

 

Aujourd’hui, devant l’énorme patrimoine légué par les Trente glorieuses, nous sommes devant un double défi, nous avons à faire l’inventaire de ce qui est à conserver dans un cadre testimonial, mais aussi dans un cadre supportable pour la planète : son avenir, et donc le nôtre, en dépend.

 

Vincent du Chazaud