BILLET n° 143 – ARCHITECTURE MODERNE EN ALGÉRIE

5-L’ARCHITECTURE APRÈS L’INDÉPENDANCE

5-4-Les architectes « stars » : un débat manqué sur la construction d’une identité algérienne

 

Dans les années 1970, l’état algérien fait appel à quelques architectes de renommée internationale. Cet appel du Président Houari Boumédiène à des architectes de renommée internationale n’est pas sans rappeler celui fait par le Premier ministre Jawaharlal Nehru en Inde une vingtaine d’années plus tôt. Après l’indépendance de l’Inde en 1947 et la partition du Penjab avec le Pakistan, Nehru fait appel à Le Corbusier pour édifier la ville nouvelle de Chandigahr, capitale des territoires du Penjab indien et de l’Haryana, sur les contreforts de l’Himalaya. A côté de l’urbanisme novateur introduit par Le Corbusier, celui-ci construit des bâtiments administratifs importants qui font la renommée de la ville, le Secrétariat, la Haute Cour et le Palais des Assemblées, classés au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2016.

 

En Algérie, le recours à des architectes étrangers de renommée internationale concerne essentiellement d’importants programmes universitaires. Au Japonais Kenzo Tange sont confiés le vaste campus universitaire d’Oran pour 10.000 étudiants et la Cité universitaire de Constantine, au Brésilien Oscar Niemeyer, résidant alors en France, sont confiés les projets universitaires de Constantine et d’Alger, ainsi que le projet de centre gouvernemental de Boumerdes, séquelle du plan de Constantine qui ne verra pas le jour, à l’Américain Louis Skydmore (agence SOM) est confié  l’université de Blida. Autres programmes, l’Espagnol Ricardo Bofill étudie un projet resté sans suite de 650 logements à Relizane (avec l’AAU et la DNC, bureau d’étude étatisé) et réalise des villages agricoles socialistes, le Français exilé Fernand Pouillon hérite d’importants programmes de complexes touristiques qu’il construit à travers tout le pays… Durant la période post-coloniale, Fernand Pouillon a eu une intense activité dans le pays, après ses déboires en France avec l’affaire du « Point du jour » dans laquelle il fut condamné. Pour la SONATOUR, durant la décennie 1965-1975, Pouillon réalise d’importants complexes touristiques. Près d’Alger, il construit le complexe touristique de Zéralda (4.000 lits) et les complexes touristiques de Tipasa-plage (2.000 lits) et Tipasa-Matarès près du site archéologique, près d’Oran, il réalise le complexe touristique Les Andalouses. Des hôtels de prestige lui sont confiés à travers le pays, citons l’hôtel Les Ziban à Biskra (1968), l’hôtel Marhaba à Laghouat (300 lits), l’hôtel du Caïd à Bou-Saada (400 lits) et l’hôtel M’Zab (ex Rostémides, 1970) à Ghardaïa.

 

Bernard Huet posait ainsi la question de la coopération avec les architectes étrangers : « Il y a deux types d’architectes « étrangers » travaillant pour le tiers-monde : il y a ceux qui, sachant qu’ils véhiculent les modèles culturels de l’Occident, essaient de comprendre un contexte différent et de se soumettre aux réalités objectives afin de limiter l’effet traumatisant de leurs interventions, et puis il y a ceux qui y voient l’occasion de faire une carrière à coup de tours de force. On ne peut faire grief au gouvernement algérien de choisir des solutions contemporaines et audacieuses pour équiper l’Algérie, comme on ne peut lui reprocher le choix de ses architectes, dans une situation encore expérimentale, mais on peut souhaiter que ces premières réalisations soient l’occasion d’un débat, d’une réflexion approfondie sur le rôle et la fonction de l’architecture dans la construction de l’identité culturelle algérienne ».[1]

 

Durant ces années 1970, des architectes de renom viennent donner des conférences à l’EPAU, l ‘école d’architecture d’Alger. Ces colloques ont laissé un souvenir mitigé à Jean-Jacques Deluz, alors enseignant : « Parmi les innombrables colloques qui furent donnés à l’EPAU, quelques-uns me sont restés en mémoire. Des architectes de haut niveau, comme Paul Chemetov, Gian Carlo de Carlo, Claude Schnaidt, nous apportèrent parfois l’air frais de l’extérieur. D’autres, comme Niemeyer, Bofill, Wogensky, venaient plutôt faire leur propre apologie. »[2]

 

Pour une grande part, ces chantiers prestigieux des années 1960/70, comme ceux des complexes hôteliers et touristiques de Fernand Pouillon, furent construits par une entreprise nationale, la DNC/ANP (Distribution Nouvelle pour Construction/Armée Nationale Populaire), fondée en 1963 par le colonel Abdelmadjib Aouchiche, qui deviendra ministre de la Construction, de l’Habitat et de l’Urbanisme en 1977. Celui-ci se faisait fort de mener les chantiers à leur terme, dans les règles de l’art et dans les délais convenus.[3]L’entreprise nationale DNC/ANP qui employait 850 personnes en 1966, en comptait 50.000 douze ans plus tard, en 1978. Elle sera tronçonnée lors des plans de restructuration des entreprises publiques décidés en 1982 sous la présidence de Chadli Bendjedid.

 

 

Vincent du Chazaud, le 3 janvier 2021     

 

 

 

[1] HUET Bernard, « Anachroniques d’architecture », Editions Archives d’architecture moderne, Bruxelles, 1981, p.120.

[2] DELUZ Jean-Jacques, Chronique urbaine, éditions Bouchène, Paris, 2001, p.179

[3] Voir article de Mohamed Boubetra, un ancien de l’entreprise DNC-ANP, « L’ex DNC/ANP : le fleuron des industries du bâtiment », Le Soir d’Algérie, 8 mai 2019