BILLET n° 139 – ARCHITECTURE MODERNE EN ALGÉRIE

5-L’ARCHITECTURE APRÈS L’INDÉPENDANCE

 

5-3-Les grands programmes de l’État socialiste : éduquer la jeunesse et loger les masses laborieuses

 

« Retenons enfin les photographies de Mohamed Kouaci qui avait réalisé des clichés rares sur les combattants de l’ALN, sur les réfugiés algériens en Tunisie, et qui immortalisa les scènes de liesse de l’indépendance. L’expo permet de revisiter quelques-uns de ces clichés sublimes. On peut admirer à l’occasion les portraits devenus cultes de quelques grands leaders révolutionnaires (Franz Fanon, Ernesto Che Guevara, ou encore Patrice Lumumba). Des images qui annoncent poétiquement les utopies fondatrices qui seront celles de l’Algérie post-62 ».[1]

 

Dans cette période du début des années 1960 jusqu’au décès du président Houari Boumédiène en 1978,  l’Algérie indépendante se range catégoriquement dans le camp des pays non alignés, dont elle devient un des leaders. C’est dans ce climat « Tiers-mondiste » que l’Algérie devient terre d’accueil des exilés politiques fuyant les dictatures brésiliennes et chiliennes, apportant son soutien à tous les opprimés de la colonisation et du racisme. Dans la Constitution algérienne rédigée en 1963 il est écrit que « La République algérienne garantit le droit d’asile à tous ceux qui luttent pour la liberté ». Le Festival panafricain de 1969 à Alger sera le porte-voix de cette lutte du Tiers-monde, et en même temps bouclera les années d’espérance nées après l’indépendance d’un socialisme démocratique ouvrant la voie vers une société plus juste. 

Durant ces années, le gouvernement Boumédiène s’adresse à des architectes de nationalités diverses. Cet appel à une collaboration internationale permettait de présenter l’Algérie comme un pays ouvert à la modernisation et engagé dans la réduction du fossé industriel et technologique qui le séparait de certaines zones européennes de la Méditerranée ; il permettait également de faire de l’Algérie le leader du bloc des pays non-alignés, ce qui explique l’engagement fort du gouvernement dans l’amélioration de l’offre hôtelière et dans la construction de complexes résidentiels adaptés à l’accueil de délégations diplomatiques.

 

Les différents ministères algériens affichent clairement une politique socialiste et dressent des plans d’action économiques et sociaux pour une ère nouvelle débarrassée du joug colonial. Parmi les plans quadriennaux définis par les gouvernements pour relancer la construction face à une pénurie de logements et face à une démographie à croissance exponentielle, quatre secteurs sont définis comme prioritaires, les habitations bon marché, les constructions scolaires et universitaires, les complexes industriels et les villages socialistes destinés à endiguer l’exode rural.

 

En quittant l’Algérie, les colons ont laissé deux types de biens convoités : les immeubles urbains, qui fournissent des logements équipés et gratuits, mais qui ne produisent pas de richesse, ainsi que la terre et les propriétés agricoles qui, elles, sont sources de profit. Le 8 novembre 1971 le président Houari Boumédiène lance la révolution agraire, influencée par les programmes ruraux communautaires de l’Union soviétique, avec notamment un plan de construction pour « 1.000 villages agricoles socialistes » permettant de mettre en commun main-d’œuvre et matériel. En octobre 1975 on en dénombre déjà vingt six, mais l’enthousiasme va faiblir et seuls deux cent un villages seront finalement construits. Déjà l’économie algérienne bascule dans le tout pétrole, une manne facile à cueillir. Ces expériences communautaires sont parfois l’occasion d’autres expériences, techniques et écologiques celles-là. Accompagnant l’architecture de ces villages agricoles, les ingénieurs Denis Jacob et Henri Lotz mènent des recherches sur l’habitat solaire en Algérie à la fin des années 1970.

 

Cette « révolution agraire » n’a pas suffi à fixer la population rurale qui émigre vers les grandes villes. Ne pouvant les accueillir, les bidonvilles, déjà importants durant la colonisation, continuent d’y proliférer. Deux architectes, Anatole Kopp et Pierre Chazanoff, associés au bureau algérien d’études et de réalisations urbaines Beral, réalisent entre 1962 et 1965 deux opérations exemplaires, l’une appelée Oued Ouchayah près d’Alger, l’autre Les Planteurs à Oran. Dans le contexte particulier de résorption de bidonvilles, l’architecture n’est qu’un des aspects des problèmes posés, sur lesquels plusieurs disciplines des sciences humaines peuvent agir pour améliorer la situation de ces personnes et assurer l’éducation des enfants avec la construction d’écoles proches. La manière d’aborder la question par les deux architectes et le Beral est proche de celle de Simounet sur le bidonville de Mahieddine au CIAM 9 d’Aix-en-Provence. La destruction complète des bidonvilles et le relogement de ses occupants n’a pas été envisagée ; après un recensement des habitations, les unes ont été rénovées et améliorées, seulement quand elles pouvaient être raccordées au voies et réseaux nouvellement créés. Les autres ont été détruites, et les personnes relogées sur place ou dans un nouveau quartier en continuité. Ces initiatives pour l’éradication des bidonvilles sont restées ponctuelles, et face à l’urgence de construire des logements neufs, l’Etat s’est tourné rapidement vers l’industrie. La promotion d’une industrialisation de la construction a été la principale réponse, bien qu’insuffisante, aux importants besoins en équipements et logements de l’Algérie nouvelle. Celle-ci s’adresse essentiellement aux industriels du béton, avec les systèmes éprouvés dans les années 1960 en Europe, avec panneaux de façades, refends et prédalles préfabriqués.

 

L’Algérie indépendante s’est trouvée confrontée pour sa jeunesse à trois problèmes majeurs, celui d’une natalité galopante, celui d’un déficit en équipements éducatifs, enfin celui de former rapidement des enseignants. Face à ces défis l’Algérie socialiste s’est lancée dans un vaste programme éducatif, les constructions d’établissements scolaires pour le primaire et le secondaire ont couvert tout le territoire. Pour l’enseignement supérieur, quand l’Algérie accède à son indépendance en 1962, seule Alger possède une université. La construction de nouvelles universités répond aux besoins de sous équipements pour former les cadres dont son économie et son administration ont besoin, ainsi qu’aux aspirations d’indépendance et d’identité nationale. Dès l’indépendance, six universités sont programmées sur tout le territoire, avec pour ambition de former 100.000 étudiants pour 1980. Pour répondre à ce plan d’urgence et afin de garantir l’avenir, les directives ministérielles insistaient sur la modularité, la fonctionnalité et la sobriété, ce qui ne fut pas toujours le cas, comme avec l’université de Constantine.

 

 

Vincent du Chazaud, le 12 août 2020  

 

 

 

[1] Article de Mustapha Benfodil dans EL Watan du 24 avril 2016, Une exposition défait la carte coloniale à Marseille, à propos de l’exposition au MUCEM de Marseille, Violences géographiques, de Sidi Fredj à Reggane