BILLET n° 176 – SIMOUNET, CAMUS ET DE MAISONSEUL

 

Dans un magnifique petit livre, « Traces écrites », magnifique par l’écriture mais aussi par la présentation, Roland Simounet livre quelques textes d’une sensibilité extrême, des anecdotes écrites avec vivacité, humour et simplicité, notamment celles où il est en compagnie d’Albert Camus. Ce sont les éditions Domens à Pézenas qui ont publié en 1997 ce petit bijou de papier et d’encres noire et rouge, un an après le décès de Roland Simounet. En frontispice, un dessin de lui, « Hommage à Le Corbusier ».

Le livre est clos par une postface de son ami Jean de Maisonseul qu’il dédie à Hamid Bouchaala, étudiant en architecture. De Maisonseul y rend hommage au travail de Simounet. Après avoir étrillé le pastiche en architecture avec le néo-mauresque et les ensembles touristiques de Pouillon, ou les préfabriqués d’origine soviétique et les projets de Niemeyer, et après avoir cité Théodore Monod à propos de l’utopie (« Je suis un utopiste dont les convictions ne se sont pas réalisées »), Jean de Maisonseul écrit : « Cette espérance est le plus haut hommage qui pourrait être rendu à Roland Simounet si son œuvre architecturale, tant celle réalisée en Algérie que celle plus tardive, pouvait porter témoignage auprès de futurs architectes de ce pays des grandes constantes de cet art dont il a su lire les traces inscrites sur le sol. » Puis de Maisonseul cite trois réalisations en Algérie :

-La cité Djenan El-Hassan (1954-1957), qui fut largement publiée dans les revues d’architecture françaises et étrangères, dont j’ai vu la destruction en cours en 2014.

-La nouvelle agglomération de Timgad (1958-1960), dont il ne reste qu’un bâtiment défiguré par des interventions inadaptées.

-La maison Bernou (1956-1957), située à El-Biar, « chef-d’œuvre de tradition et de modernité » selon les mots de Jean de Maisonseul, là je n’en connais pas sa destinée et son état aujourd’hui.

 

Au moins deux de ces architectures, qui auraient pu « porter témoignage auprès de futurs architectes de ce pays des grandes constantes de cet art dont (Roland Simounet) a su lire les traces inscrites sur le sol », ne sont plus aujourd’hui. Quand ce ne sont pas les éléments, comme l’anéantissement du magnifique travail de Jean Bossu à Orléansville, c’est la main de l’homme qui détruit les meilleurs exemples d’architectes qui ont « su lire les traces inscrites sur le sol ».

C’est par une note d’humour, et peut-être d’optimisme, que je veux terminer ce billet, avec cette croustillante anecdote toujours tirée de « Traces écrites » de Roland Simounet. Partis d’Alger à plusieurs dans une Traction-avant pour rejoindre Orléansville alors en reconstruction après le tremblement de terre de 1954, la bonne humeur régnait dans l’auto où avait pris place également une jeune fille qui allait retrouver son ami qui travaillait avec l’équipe de jeunes architectes engagée pour la reconstruction. Après quelques chants, dont « Le Gorille » entonné par la demoiselle à la stupéfaction de tous, « vint le moment où chacun devait faire savoir son vocabulaire dans la langue de Cagayous[1]. Le jeu était de proposer, un nom, une situation, et de décliner toutes les variantes possibles. On parlait d’injures – je passe sur les grossières : la mort de tes bises, les os de tes morts, tchoutcho, bazouk ou caisse de mort… De bagarres : drobzer, recevoir une calbotte, gonfler l’autre, lui donner sa mère, manger des coups ou se tenir l’aubergine… ou encore du comportement : un louette, un dégourdi, un embrouilloun, un caouette… Quand vint mon tour je choisi de comparer quelques mots exprimant les rapports entre jeunes gens et jeunes filles. Il se disait : fréquenter, faire fiancé, rombiner, faire caprice et enfin une expression plus rare « se parler » : depuis quand y parle avec la fille… Camus me laissa à peine terminer ma phrase et d’une réplique cinglante et narquoise me dit : « Surtout que chez nous on parle avec les mains ». J’en « restai axe » » termine Simounet dans un parlé Cagayous.  

Vincent du Chazaud

Le 17 décembre 2023

 

 

[1] Cagayous, chenapan de Bablouete (Bab-el-Oued), est un personnage inventé par Auguste Robinet ; il parle le pataouète, langage imagé des pieds-noirs mêlant français, catalan, espagnol, italien, arabe voire kabyle…