BILLET n° 177 – ART SACRÉ

 

J’ai d’abord mis un « S » à art et à sacré, puis je l’ai enlevé… Art au singulier, cela englobe tous les arts, les Quat’z’Arts bien sûr, architecture, sculpture, peinture, gravure, mais aussi tout le reste quand la main est guidée par l’esprit. Trois raisons pour le choix de ce sujet :

La première, c’est un ami qui me donne l’occasion de parler d’Art sacré, en m’offrant une collection de la revue mensuelle « L’Art Sacré » parue entre septembre-octobre 1955 et novembre-décembre 1962, dont les directeurs de publication depuis 1937 étaient les prêtres dominicains Marie-Alain Couturier (1897-1954) et Pie-Raymond Regamey (1900-1996). Le R.P. Couturier était ami du chanoine Jean Devémy, à l’initiative de l’église d’Assy de Maurice Novarina avec de nombreux artistes à ses côtés, dont certaines œuvres comme le Christ en croix de Germaine Richier, suscitèrent une vive polémique (voir billet n°165). Cette église est montrée comme un manifeste du renouveau de l’Art sacré, tant les artistes qui y sont intervenus sont nombreux : Henri Matisse, Georges Braque, Fernand Léger, Georges Rouaul, Jean Lurçat, Jean Bazaine, Marc Chagall, Jacques Lipchitz, Pierre Bonnard, Marguerite Huré, Germaine Richier, etc. pour ne citer que les plus connus, le père Couturier apportant également « sa pierre » avec des vitraux sur les bas-côtés.

Dès 1936, Couturier et Régamey prennent la direction de la revue « L’Art sacré », support pour diffuser l’art moderne dans l’architecture religieuse et son décor, rompant avec l’académisme et les figures Saint-sulpiciennes. Le premier numéro de cette collection qui m’a été offerte, daté de septembre-octobre 1955, relate le projet et la construction de la chapelle de Ronchamp, avec de sublimes photos de Lucien Hervé. Lors de son inauguration le 25 juin 1955, Le Corbusier remis la chapelle à l’archevêque de Besançon en ces termes qui lui sont propres et qui le distinguent :

En bâtissant cette chapelle, j’ai voulu créer un lieu de silence, de prière, de paix, de joie intérieure.

Le sentiment du sacré anima notre effort.

Des choses sont sacrées. D’autres ne le sont pas, qu’elles soient religieuses ou non.

Nos ouvriers et Bona, le contremaître, Maisonnier de mon atelier, les ingénieurs et les calculateurs, d’autres ouvriers et de entreprises, des administrateurs, Savina, ont été les réalisateurs de cette œuvre difficile, minutieuse, rude, forte dans les moyens mis en œuvre,

Mais sensible et animée d’une mathématique totale, créatrice de l’espace indicible.

Quelques signes dispersés, et quelques mots écrits, disent la louange de la Vierge.

La croix – la croix vraie du supplice – est installée dans cette arche ; le drame chrétien a désormais pris possession du lieu.

Excellence, je vous remets cette chapelle de béton loyal, pétrie de témérité peut-être, de courage certainement, avec l’espoir qu’elle trouvera en vous comme en ceux qui monteront sur la colline, un écho à ce que tous nous y avons inscrit.

La seconde, c’est la présentation récente d’un ouvrage sur l’Art sacré, ainsi qu’une journée d’étude sur l’église de Raincy et Perret. Celle-ci s’est tenue la journée du lundi 4 décembre à l’École d’architecture de Paris-Belleville. C’était une façon aussi de célébrer le centenaire de Notre-Dame-de-Consolation du Raincy, consacrée le 17 juin 1923 en présence des architectes Auguste et Gustave Perret. Il aura fallu un an et un mois aux frères Perret pour l’étude et le chantier de cet édifice de béton et de verre, « la Sainte Chapelle du béton », quand il aura fallu plus de quatre années pour obtenir les autorisations, étudier, vérifier et restaurer le seul clocher…

Les frères Perret, qui auront mis de leur poche pour finir le chantier, s’entourent d’artistes renommés, sans doute pas rémunérés,  Maurice Denis créateur des Ateliers d’Art sacré pour le dessin des vitraux, Marguerite Huré pour les verres colorés sertis dans des claustras de béton, Antoine Bourdelle pour le tympan de l’église. Christophe Arnion, ingénieur et enseignant dans cette école, a exposé le matin la genèse de cet édifice cultuel, puis dans l’après-midi il en a décortiqué les particularités constructives. D’autres intervenants, Benjamin Mouton pour la restauration des façades, Wandrille Thieulin et Bernard Bauchet pour la restauration du clicher, Véronique David pour la maître-verrier Marguerite, entre autres sont intervenus. On aurait pu les écouter pendant des heures et des heures… mais Paul Verlaine nous interrompt :

La cloche, dans le ciel qu’on voit
Doucement tinte.
Un oiseau sur l’arbre qu’on voit
Chante sa plainte.

(…)

Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.

La troisième, c’est une expérience personnelle. Un concours d’architecture dans les années 1990 pour une église, ce qui est rare aujourd’hui, en banlieue d’Angoulême… les maquettes sont exposées au public qui pouvait mettre un commentaire, je récolte d’un « petit Le Corbusier », ce que j’ai trouvé plutôt flatteur… concours perdu, je ne construirai pas d’église… à moins d’enlever la croix et de nommer le projet mosquée ou synagogue ? Puis une opportunité pour une porte de cimetière, en commande directe et réalisée à Ribérac en Dordogne. La porte est un monument plus que deux simples portes. Le petit chantier fut mené par un maçon local, qui exécuta parfaitement le coffrage en bois des voûtes en béton. On aurait presque souhaité de ne pas décoffrer l’ouvrage. Ces deux voûtes sont perchées sur des poteaux cylindriques, elles sont comme deux mains ouvertes tendues vers le ciel, pourquoi le ciel diront les athées et les agnostiques ? On va dire que c’est pour recueillir l’eau du ciel dans ces voûtes inversées, laquelle descend dans un bassin sur lequel on marche pour entrer dans le cimetière… une réinterprétation du Styx. Évocation peut-être du poème de Charles Baudelaire, « Correspondances » :

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles.
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.

 

Vincent du Chazaud

Le 18 décembre 2023