BILLET n° 178 – CROISSANCE INNOVANTE (1965/75)

Les trente années qui ont suivi la fin de la deuxième guerre mondiale ont été le théâtre de grands bouleversements pour la société française, à la fois politiques, économiques, sociaux et culturels. Depuis la révolution industrielle du milieu du XIXème siècle, des espoirs sont placés dans les progrès techniques pour améliorer le sort des hommes. Un siècle plus tard, après le traumatisme d’une deuxième guerre mondiale dévastatrice, dont la bombe atomique symbolise l’aspect terrifiant et menaçant que peut revêtir la technologie, resurgit une dynamique de progrès grâce aux avancées de la science. En France, encouragé d’abord par la reconstruction puis par la modernisation, le pays connaît une très forte croissance, comblant son retard avec les pays industrialisés, et le premier d’entre eux, les Etats-Unis. L’industrie du bâtiment, fortement encadrée par l’Etat, va profiter de cette embellie.

Ce seront d’abord dix années (1945-1955) de reconstruction après les intenses bombardements de la guerre, sous l’égide du puissant Ministère de la reconstruction et de l’urbanisme (MRU), période pendant laquelle l’industrie lourde se met en place à côté des savoir-faire traditionnels. On déblaie les décombres, on reconstruit les villes détruites. Viendront ensuite dix années (1955-1965) de transition entre « reconstruction » et « construction », période pendant laquelle priment les programmes de logements, dont le déficit est encore important et accentué par l’exode rural. A côté de l’industrialisation lourde du béton en pleine expansion pour le logement collectif, des recherches sont menées en direction d’une industrialisation légère, faisant appel à des techniques et matériaux nouveaux.

Enfin, dix années (1965-1975) de réalisations innovantes, fruit des recherches menées durant la décennie précédente, au service d’une construction rapide et économique pour le logement, ainsi que pour de petits équipements sportifs et socio-culturels de « proximité », dont le manque se fait sentir auprès d’une population rajeunie après le « baby boom » de l’Après-guerre. L’embellie de la croissance connaîtra un premier « accroc », essentiellement culturel, avec le malaise existentiel exprimé lors des manifestations et des grèves de mai 68, avant d’être enrayée par la récession économique durable consécutive au premier choc pétrolier de 1973. Aux politiques volontaristes menées par l’Etat sous les présidences de Charles de Gaulle (réélu en 1965) et Georges Pompidou (élu en 1969), succédera une politique libérale sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing (élu en 1974) . Ce desserrement de l’emprise étatique, notamment en matière de logements et d’équipements, connaîtra son aboutissement avec la loi Defferre sur la décentralisation votée en 1981.

Partant de cette dernière période que l’historien Gérard Monnier appelait de « croissance innovante », les prochains billets seront consacrés à trois architectures emblématiques, la maison des jeunes et de la culture Ed-Kit (1971) de Ed Architectes (Daniel-Lucien Bertrand, Patrick Demanche, Philippe Dornier Alain-Brutus Peskine, Jean-Pierre Roullé, Yves-Michel Tixier), la piscine Tournesol (1969-1972) de l’architecte Bernard Schoeller, et l’École de musique et de danse de Montreuil (1972-1976) de l’architecte Claude Le Goas.

Vincent du Chazaud, 02 février 2022