Trois cas vont servir à illustrer mon propos, La CITE Djenan el-Hassan, CLIMAT DE FRANCE et L’AERO-HABITAT, trois architectures de logements sociaux implantées à Alger, de trois architectes différents, trois programmes différents aussi ayant chacun trois destinées différentes.

La CITE Djenan el-Hassan (1956-1958), architecte Roland Simounet[1].

C’est un programme de « cité de transit » destiné à résorber les bidonvilles.

Jean de Maisonseul, architecte né à Alger et membre du groupe CIAM-Alger, dira que c’est «l’invention du logement collectif horizontal ». Cette cité de transit, construite sur un terrain en pente à la périphérie d’Alger, concrétise une étude instructive et humaniste menée par Simounet sur le bidonville de Mahieddine présentée lors du CIAM d’Aix en Provence de 1953. Au sortir de la guerre, la France métropolitaine et le territoire algérien connaissent une grave crise du logement. L’appel de l’abbé Pierre en 1954 va accélérer la construction de cités « d’urgence » afin de reloger les familles vivant dans les bidonvilles. A Alger[2], c’est Jacques Chevallier, maire de 1953 à 1958, qui par humanisme ou calcul politique à des fins de pacification d’une population révoltée par ses conditions de vie, veut lui rendre sa dignité alors qu’elle est parquée dans les bidonvilles[3]

Roland Simounet, jeune architecte déjà appelé par les architectes Daure et Béri pour étudier les logements des cités « La Montagne » à Hussein Dey, et ceux des «Carrières Jaubert », se voit confier cette cité de transit de 210 logements destinée à reloger des habitants de bidonvilles alentours, sur la pente sud de la vallée M’Kacel. Les voûtes étagées sur une pente abrupte s’inspirent du projet, non abouti, « Roq et Rob » que Le Corbusier imagina pour un versant montagneux dans le Midi de la France, à Roquebrune-Cap-Martin. Dès ses voyages de jeunesse en Orient et jusqu’à ses voyages en Algérie de 1930 à 1942, Le Corbusier a montré son grand intérêt pour l’architecture traditionnelle arabe en terre, pour les maisons carrées à toit-terrasse qu’il a pu voir lors de son voyage au M’zab en 1931, là où l’architecture coloniale n’a pas laissé de traces. Ou bien encore, l’émerveillement de Le Corbusier lors de sa première promenade dans la Casbah d’Alger, guidé par Jean de Maisonseul , quand il écrit: « L’architecture arabe nous donne un enseignement précieux. Elle s’apprécie à la marche, avec le pied (…) ».

Comme dans le projet »Roq et Rob », Simounet privilégie à Djenan El-Hassan les vues panoramiques sur un paysage méditerranéen omniprésent et met en avant la plastique de l’architecture associée à un langage vernaculaire, conciliant architecture moderne et architecture arabe traditionnelle.

Les logements sont étagés en terrasses, la forte pente du terrain (45%) a déterminé une solution en gradins, à structure alvéolaire, assurant à chaque logement, malgré la forte densité, une complète indépendance et des vues dégagées. La leçon d’Hippodamos de Milet, urbaniste grec du VIème siècle av.JC, est retenue ici, celle d’un urbanisme en damier adapté quel que soit le relief du site, comme à Priène, cité grecque d’Asie mineure. Les logements sont desservis par des coursives abritées, patios plantés, escaliers publics. Adaptation au site, extrême économie de moyens, équipement minimum (une douche/WC, un évier sur la loggia). La leçon de vie apprise sur le bidonville de Mahieddine est retenue pour être ici réinterprétée de façon plus confortable.

La cité Djenan el-Hassan de Simounet fut largement publiée et fit sa renommée, avant de partir s’installer et construire en France.

A l’indépendance, les logements laissés vacants par les Européens ont créé un « appel d’air », accentuant encore l’exode rural, que les « villages agricoles » de l’ère Boumedienne ont tenté de fixer sur leurs terres. Des photos datées de 2003 montrent une cité au bord de l’asphyxie, surpeuplée, les loggias fermées, les voûtes surhaussées par des extensions en terre et tôle ondulée… Elle a cessé d’être une cité de transit, et s’est « bidonvillisée », une situation analogue à celle que connaît la Casbah. En 2012, la cité était en cours de démolition, s’y accrochaient encore quelques habitants au milieu de ses ruines. Comme pour les cités de banlieues européennes, la démolition est souvent une réponse trop rapide à un problème social plus que technique, sans étude préalable à une reconversion possible d’un patrimoine obsolète.

 

Djenan El Hassan en 2003

 

Djenan El Hassan en 1960

Dans un magnifique ouvrage édité en 1997 par le  Moniteur, « Roland Simounet, d’une architecture juste », on peut lire sur la quatrième de couverture de l’architecte Pierre Riboulet : « le travail d’un des plus grands architectes de ce second demi-siècle (…) je souhaite que beaucoup de jeunes architectes s’en inspirent et suivent cette route » et aussi du philosophe Udo Kultermann :   « son travail sur l’essence de l’architecture aboutit à des formes solides qui dureront et vivront, à l’image des vieux ouvrages des siècles passés ». Avec Djenan El-Hassan, un ouvrage a déjà disparu…

Jean de Maisonseul, ancien directeur de l’Institut d’urbanisme de l’université d’Alger, raconte qu’en 1960, Simounet montra un album de ses réalisations à Le Corbusier dans la petite boîte carrée de 2m26 de côté qui lui servait de bureau à l’atelier de la rue de Sèvres. Il regarda pendant trois heures, planche à planche, avec cette lenteur et cette attention qui le caractérisait, pour dire, lunettes relevées sur le front : « De quoi vous plaignez-vous, vous avez réalisé ce que j’ai rêvé… à votre âge, je n’avais encore rien construit. »

Vincent du Chazaud, le 14 novembre 2014



[1] Œuvres remarquables de Roland Simounet (elles le sont toutes cependant…) :

En Algérie :

-Maisons Tosi, Fernand Aboulker, Monnoyer, Daniel Aboulker, Bernou, Kasdarly, à Alger

-Foyers ruraux dans la région du Cheliff (1954-56, Flatters, Chassériau, Montenotte, Haneteau), petits centres culturels pour des villages éloignés dans la campagne. Construits de manière monolithique en béton de ciment armé, après le séisme d’Orléansville de 1954 : spectacles, café-bibliothèque, bains. Le dispositif antisismique a résisté en 1980.

-maison Mesli à Tlemcen

-maisons dites des pêcheurs à Tipasa

-Faubourg Bokat-Sahnoun d’Orléansville (Chlef) (1955-56), 200 logements, boutiques, salles de prière… dans le parcellaire existant, programme selon les indications données sur place par les habitants sinistrés.

-Domaine du Keroulis d’Orléansville d’Orléansville (Chlef) logements avec double toits voûtés, parois ventilées, claustras… dans une région les plus chaudes d’Algérie.

-villages en Kabylie

-Centre Albert Camus d’Orléansville (Chlef) avec Louis Miquel

-800 logements Carrières Jaubert à Alger (avec Daure et Beri)

-nouvelle agglomération de Timgad

-village en terre stabilisée près de Biskra

-logements économiques à Azazga en Kabylie

-résidence de l’ambassadeur de France à Alger

En France :

-maison de vacances à Ghisonnacia en Corse

-Unité pédagogique d’architecture de Grenoble

-musée de la préhistoire de Nemours

-logements à côté de la basilique de Saint-Denis

-musée d’art moderne de Villeneuve d’Asq, récemment agrandi par Emanuelle Gautrand

-école nationale de danse de Marseille

-musée Picasso dans l’Hôtel Salé à Paris (1976-85), le musée, à nouveau en travaux durant 5 ans, vient de rouvrir ses portes.

[2] L’action de Chevallier peut être comparée à celle menée à Oran par Henri Fouques-Duparc, maire gaulliste de 1948 à 1962.

[3] En 1954, 30% de la population musulmane d’Alger, soit 86000 personnes, habitent les bidonvilles (source Alger, paysage urbain et architectures, les Éditions  de l’Imprimeur,  Paris, 2003, catalogue de l’exposition éponyme).