Billet n°106- ANDRÉ DERAIN, ET PEUT-ÊTRE DAVID HOCKNEY

 

La divine surprise de l’exposition David Hockney au Centre Pompidou, maintenant terminée, c’était qu’elle se tenait à côté de celle consacrée à André Derain (1880-1954). Effet de mode et battage médiatique, c’était à la première que l’on se précipitait… on en est sorti circonspect, sinon déçu, même s’il faut faire croire le contraire afin de rester « dans le coup », avec un sifflement admiratif pour la cote de l’artiste, sinon pour son talent : un paysage de Davis Hockney « 15 canvas Study of the Grand Canyon », œuvre préparatoire à « A bigger Grand Canyon » conservée à la National Gallery d’Australie, a été vendu à Londres près de sept millions d’euros le 5 octobre dernier par Sotheby’s.

 

Mais heureusement avec le même billet, coûtant quatorze euros tout de même, on peut en sortant de chez Hockney, et en revenant sur ses pas, aller saluer « Dédé » Derain. Oh la la, quel bonheur, le Midi peint par Derain en 1906, c’est autre chose que la Californie de Hockney en 1990… C’est pas un mauvais dessinateur Hockney, il le montre avec ses portraits au crayon, mais ses peintures au sirop de fraise et à la guimauve à partir de projections de diapos… Il a eu raison dans ses débuts d’être fasciné par la prolifération et la créativité des œuvres de Pablo Picasso… mais c’était Picasso, et n’est pas Picasso qui veut, comme ça, en prenant des photos.

 

Justement, à propos de Picasso, revenons-en à « Dédé ». Cet homme de grande culture a ouvert les voies du cubisme à Picasso en lui faisant découvrir l’art « nègre » : c’était en 1906, au retour d’un séjour à Londres où Derain fit la découverte des arts africains et océaniens du British museum ; une année plus tard Pablo Picasso peint en 1907 « Les Demoiselles d’Avignon », œuvre considérée comme fondatrice du cubisme, dont deux femmes arborent ostensiblement des visages empruntés aux masques africains. Mais deux années auparavant, en juillet 1905, Derain rejoint Matisse à Collioure, et là c’est une explosion de couleur, des aplats juxtaposés et non plus les touches en dégradés de couleurs dont se servaient les impressionnistes. C’est sauvage, c’est bestial, c’est le « Fauvisme », terme donné par le journaliste Louis Vauxcelles aux artistes exposés à la salle VII, dite « la cage aux fauves », du Salon d’Automne.

 

L ‘exposition du Centre Pompidou est appelée « André Derain, 1904-1914, la décennie radicale ». Curieusement, après la guerre de 14-18 durant laquelle Derain est mobilisé dans l’artillerie, il s’éloigne des courants explorant les frontières de l’art, il s’isole et revient à une expression picturale inspirée des Primitifs italiens. Nostalgique, mélancolique, il se fait récupérer par l’ambassadeur d’Allemagne Otto Abetz, lors d’un calamiteux voyage d’artistes français à Berlin en 1941, en compagnie de Vlaminck, Van Dongen, Despiau, Belmondo et d’autres. Cette descente aux enfers lui sera fatale, pourtant il n’est pas dupe, et confie « s’être fait couillonné », car la contrepartie, la libération de prisonniers, ne se fera pas. Est-ce la cause de l’ostracisme dont il fera l’objet après la guerre de la part des critiques d’art, quand l’heure est aux « héros » de la Résistance ? Alors que pendant la guerre Derain refuse toute exposition publique et décline la proposition de prendre la direction de l’école des Beaux-arts de Paris, après la guerre il est frappé d’interdiction d’exposer pendant un an par le comité national des artistes. Derain est profondément meurtri par ce verdict, alors qu’un collectif de « juges improvisés » sous la présidence de Picasso l’avait absout. Il s’isole dans sa maison de Chambourcy et travaille à des illustrations de livres ou des décors de théâtre, activités qu’il a connues dans les années 1930.  Peu après la guerre, le projet de réunir l’œuvre peint de Derain dans un livre en trois volumes, préfacé par Marcel Camus qui apportait ainsi sa caution morale à l’artiste, a malheureusement échoué. 

Les artistes reconnaissent l’homme et son talent, Marcel Duchamp écrit à son propos : « Derain fut constamment l’adversaire des théories. Il a toujours été un vrai croyant du message artistique, non falsifié par des explications méthodiques et appartient jusqu’à ce jour au petit groupe d’artistes qui « vivent » leur art. » On peut le vérifier sans tarder en se rendant à l’exposition du Centre Pompidou.

 

Vincent du Chazaud, 10 janvier 2018