BILLET n°104 – GÉRARD MONNIER

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Gérard Monnier nous a quitté le 23 novembre 2017, âgé de 82 ans.

A un mois d’intervalle, après le décès d’André Ravéreau, voici à nouveau un billet à classer dans la rubrique « nécrologie », avec la disparition d’un homme qui compta dans ma vie, mais surtout qui compta pour la connaissance de l’architecture du XXème siècle.

 

« C’est épatant… » C’était souvent ainsi que Gérard Monnier, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, manifestait son approbation sur une façon qu’il appréciait de traiter un sujet. Depuis quelques temps, le professeur ne pouvait plus s’exprimer ainsi, ni s’exprimer tout court, atteint de maladie lui ôtant la parole. Un supplice qu’il supportait mal, habitué aux estrades de l’Institut d’art de l’université où il enseigna jusqu’à sa retraite en 2003. Il poursuivit encore une poignée d’années pour diriger ses derniers thésards, dont je fus.

 

Gérard Monnier est né à Poissy en 1935, quatre ans après que Le Corbusier eut achevé la construction de la villa Savoye de Poissy, dont le chantier s’étala de 1928 à 1931, et dans laquelle il mit en application ses théories du Mouvement moderne, les cinq points d’une architecture nouvelle. Le maître s’était-il penché sur son berceau ? Gérard Monnier a consacré sa carrière universitaire à l’histoire de l’architecture vingtièmiste, et a écrit de nombreux ouvrages sur ce siècle et sur Le Corbusier[1].

 

C’est au retour de son service militaire en Algérie, d’où blessé il est rapatrié, qu’il embrasse une carrière universitaire à l’université d’Aix-en-Provence, y créant le premier cours de photographie qu’il confie à Willy Ronis, alors peu connu.  La photographie sera une autre de ses passions, et dernièrement il s’était attelé à un dictionnaire des photographes. L’aura-t-il terminé ? C’est une tâche lourde et harassante, me confiait-il, qu’il comparaît à celle de mon père avec son dictionnaire des synonymes. Après une thèse d’État consacrée à l’architecte Henri Pacon, auteur entre autres œuvres de la gare du Havre qui échappa aux bombardements de la Dernière guerre, en 1988 il est recruté à l’université de Paris 1  Panthéon-Sorbonne.

 

Vos cours ? Ils étaient « épatants », notamment ceux dispensés à la Fondation Deutsch de la Meurthe que vous dirigiez dans les années 2000. Ce fut l’occasion de mieux connaître la Cité internationale universitaire de Paris, notamment ses résidences emblématiques que sont celles de la Suisse (1933) et du Brésil (1959) de Le Corbusier, celle de l’Allemagne (1956) de Johannes Krahn, celle des Pays Bas de Willem Dudok (1938), ou encore celle de l’Iran (1969) de Claude Parent. 

 

Les voyages d’études ? Toujours « épatants », ceux que je fis autour de l’année 2000 à Berlin puis au Havre restent des souvenirs impérissables. Là encore votre grande culture permettait aux étudiants qui vous accompagnaient de se nourrir dans la bonne humeur, sans condescendance de votre part, mais amplifiant toujours nos réflexions de vos connaissances et de vos expériences, souvent imagées d’anecdotes.  

 

Les séminaires ? « Épatants » eux aussi. Encore une fois vous aviez repoussé les murs de l’université de la Sorbonne, pleine à craquer, pour nous installer cette fois dans la bibliothèque désuète et chaleureuse du Centre allemand d’histoire de l’art, place des Victoires. Vous y invitiez des intervenants de toutes disciplines, parfois étrangers, dont la qualité et la diversité des interventions m’ont séduit et enrichi. J’ai encore en mémoire celle sur l’apport de la Grèce antique dans l’architecture occidentale, puis celle sur Chandigahr qui, quelques années plus tard, aura préparé ma visite dans cette ville indienne dessinée par Le Corbusier.   

 

Vos ouvrages ? Encore « épatants », je n’en cite que deux parmi vos nombreuses contributions, soit comme auteur, soit comme directeur de publication. D’abord ce petit livre intitulé « La porte, instrument et symbole » édité en 2004, détail d’architecture dont vous avez relevé l’importante signification, esthétique et symbolique, quelle que soit la civilisation, rejoignant ainsi les propos d’André Ravéreau recueillis dans l’ouvrage « Du local à l’universel », sur la primauté à donner aux parties bien pensées qui, alors, assemblées  forment un tout. Ensuite, et c’est là une des plus importantes contributions à l’histoire de l’architecture, les trois tomes que vous avez dirigé sur « L’Architecture moderne en France », le premier (1889-1940) écrit par Christine Mengin et Claude Loupiac, le deuxième (1940-1966) par Joseph Abram, vous réservant l’écriture du troisième tome (1967-1999). Ces trois ouvrages sont une référence pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire en général, et à l’architecture en particulier.

 

Avant votre maladie, il y a peu, nous allions quelquefois déjeuner au « Petit journal », en face des immeubles de Jean Dubuisson construits sur la dalle Montparnasse. Vous en étiez alors un des nombreux copropriétaires ; membre du Conseil syndical, très investi à ce titre mais aussi en tant qu’historien, vous m’aviez dit la difficulté à gérer ces grosses copropriétés. Féru d’automobiles et de mécanique, vous saviez que j’avais été l’heureux détenteur de 2CV et DS Citroën. Ca me donnait un peu de prestige à vos yeux, qui fondait vite quand je calais sur vos questions pointues à propos de ces icônes de l’automobile. La conversation était animée, joyeuse, voire passionnée… j’en ressortais « sonné » par tant d’érudition, distillée comme un partage et non une vanité. Avec vous, on ne connaissait pas la routine, on ne faisait pas du surplace, c’était un perpétuel voyage.

 

Adieu Monsieur le professeur, vous avez écrit de passionnantes pages d’histoire, et vous avez contribué à porter un regard différend sur l’architecture du XXème siècle. Combien d’architectes vous sont redevables ?

Vincent du Chazaud, 30 novembre 2017  

 

 

 

 

[1] Quelques ouvrages écrits par Gérard Monnier, ou qu’il a dirigés :

-Attendre ensemble – Waiting together, photographies de Gérard Monnier, textes de Gérard Monnier, Christian Bromberger, Dominique Noguez, Michel Poivert ; Wilbert Gonzalez, trad. ; Editions Creaphis, Paris, 2013

-La porte. Instrument et symbole, Editions Alternatives, Paris, 2004

-Le Corbusier : les unités d’habitation en France, Paris : Belin-Herscher, 2002

-L’art et ses institutions en France de la Révolution à nos jours, Paris, Gallimard, 1995

-Histoire de l’architecture, Paris : P.U.F. « Que sais-je ? », 2010

-L’Architecture du xxe siècle, Paris : P.U.F. « Que sais-je ? », 2000

-Les grandes dates de l’architecture en Europe de 1850 à nos jours, Paris : P.U.F. « Que sais-je ? », 1999

Brasilia L’épanouissement d’une capitale, Paris, Picard, 2006

-Le Corbusier et le Japon, Paris : Picard, 2007

-Claude Loupiac et Christine Mengin. L’Architecture moderne en France. Tome 1, 1889-1940, Paris, Picard, 1997

-Joseph Abram, L’Architecture moderne en France. Tome 2, Du chaos à la croissance, 1940-1966, Paris, Picard, 1999

-Gérard Monnier, L’Architecture moderne en France. Tome 3, De la croissance à la compétition, 1967-1999, Paris, Picard, 2000