BILLET n°146- ARCHITECTURE MODERNE EN ALGÉRIE

5-L’ARCHITECTURE APRÈS L’INDÉPENDANCE

5-7-L’architecture en Tunisie : entre tourisme et développement

 

Brièvement, nous évoquons les parcours, dans les mêmes périodes, de deux autres pays du Maghreb limitrophes de l’Algérie, la Tunisie et le Maroc dont, dans une chronicité moindre et dans d’autres circonstances, les destins furent liés à la France.

Cette évocation rapide esquisse aussi les enjeux communs aux pays du Maghreb pour l’architecte aujourd’hui, où passés lointain et plus récent, et où enjeux actuels, écologiques, économiques, démographiques, sociaux, culturels, techniques, se mêlent et compliquent la tâche des architectes. Mais ce travail aux côtés des politiques pour aider à construire une société juste socialement, libre humainement, équilibrée écologiquement, est exaltant. 

Comme l’Algérie, les deux autres pays du Maghreb, qui ont constitué avec elle l’Afrique du Nord française, et bien qu’ayant des statuts différents, ont été dans la dernière moitié du 19ème siècle et la première moitié du 20ème siècle des « laboratoires » de l’architecture française. « Les architectes modernes bénéficièrent dans cette Afrique du Nord devenue française d’un vaste champ d’expérimentation qui leur permit de poursuivre leurs recherches. Ils construisent pour les colons, la bourgeoisie locale et les municipalités, dans un contexte où les contraintes de la construction étaient moins rigides qu’en Europe » écrit l’historien Jean-Marc Irollo[1].  Nombreux sont les architectes de renom, ainsi que de grandes entreprises françaises comme l’entreprise Perret frères, à venir construire bâtiments et ouvrages d’art dont beaucoup sont remarquables dans ces trois pays, nous venons de le voir pour l’Algérie.

 

En Tunisie, la période du protectorat (1881-1950), dans la première moitié du XXème siècle, a été faste pour la construction, et d’importants édifices publics y furent construits. L’importante communauté israélite installée de longue date dans le pays fit édifier au cœur de Tunis, dans le quartier de Lafayette, la Grande synagogue, œuvre monumentale de l’architecte Victor Valensi (1883-1977) suite à un concours remporté en 1911, mais mis en chantier seulement en 1933 et inaugurée le 23 décembre 1937. Valensi, formé à l’Ecole des Beaux-arts de Paris, est influencé par le courant Art déco pour cette réalisation remaniée depuis le premier projet datant d’avant la Première guerre mondiale. Architecte-conseil de la ville de Tunis, il réalise en 1920 le plan d’aménagement, d’extension et d’embellissement (PAEE) de la ville. Considéré comme le « père » de l’architecture moderne en Tunisie, auteur de nombreuses villas dans les environs de Tunis, il y œuvre encore après l’indépendance jusqu’à son décès en 1977.

 

Durant les années 1930, le courant Art déco est sensible dans les grandes villes. A Tunis, les architectes Marcel Royer et George Piollenc réalisent le « Colisée » (1931-1933), immeuble comprenant logements, galerie marchande et une salle de cinéma au décor Art déco, les architectes Pierre de Montaut, Adrienne Goska et Michel Le Soufache réalisent l’imposante salle de spectacle « Le Palmarium » de Tunis (1953), ainsi que le théâtre municipal de Sfax (1955) avec d’imposantes grilles en fer forgé au motif de « mains de Fatma ». L’architecte René Audineau (1904-1990) œuvre pour deux immeubles Art déco, « Le Publica » et l’immeuble « Enicar » surmonté d’une imposante horloge.

En 1928, Le Corbusier introduit le Mouvement moderne avec son projet de la villa Baizeau à Carthage, sa seule réalisation en Tunisie dont la construction démarre en 1929.

Le Mouvement moderne s’amplifie après la Deuxième guerre mondiale. A Bizerte, sur les ruines de l’église Notre-Dame-de-France bombardée pendant la guerre, l’architecte Jean Le Couteur, avec l’ingénieur Bernard Lafaille, reconstruit l’église en servant des anciennes fondations et de matériaux de l’ancienne église. Puis il élève une nef faite de fins poteaux et de voutes en  béton armé. Entré dans l’Atelier de la reconstruction en 1946 au côté de Bernard Zerhfuss, Jean Le Couteur établit le projet d’aménagement du quartier des Andalous à Bizerte. A Tunis, l’architecte Pierre Vago construit la nouvelle Direction générale de Tunisie et la succursale de Tunis de la Banque de l’Algérie et de la Tunisie en 1953-1954.

 

L’architecture en Tunisie, depuis que le pays a quitté son statut de protectorat en 1950, est restée influencée par les architectes venus de la Métropole. Bernard Zehrfuss y a longtemps conservé un statut d’architecte quasi officiel. La coopération civile a été active, notamment dans le corps enseignant de l’école d’architecture de Tunis. Patrice Dalix, dans un livre où il livre ses souvenirs d’architecte coopérant[2], raconte que des échanges ont été tentés avec l’Algérie et Fernand Pouillon, mais qui resteront sans suite.

En 1961, le président Bourguiba lança un concours international d’urbanisme pour Tunis, sous l’égide de l’Union Internationale des Architectes (UIA).[3] Il s’agissait de percer une voie à travers la ville historique (médina) et d’édifier un palais présidentiel et des ministères sur l’emplacement de la Casbah. Finalement le jury ne décerna pas de premier prix pour ce concours destiné à servir le prestige du nouveau président Bourguiba , et les projets furent remisés dans les cartons.  

 

Au début des années 1960, les architectes Paul Chemetov et Jean Deroche de l’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture (AUA) dessinent le projet d’un théâtre de plein-air avec un amphithéâtre de mille places à Hammamet, ville qui accueille un festival de théâtre.

En 1964, l’architecte Olivier-Clément Cacoub projette un complexe olympique destiné à accueillir les Jeux Méditerranéens et Africains, construit proche de la nouvelle cité universitaire qui bénéficiera de ces infrastructure sportives, ces ensemble sportif reçoit un stade pour 45.000 spectateurs, des piscines couvertes, un palais des sports et un vélodrome, ainsi que tous les équipements pour accueillir les athlètes.

 

Depuis les années 1970, une part importante de la construction s’est dirigée vers le tourisme. La qualité de l’accueil, le faible coût de la vie, un exotisme à la porte de l’Europe, les conditions climatiques et les plages méditerranéennes, tout concourt a l’implantation de vaste complexes hôteliers et villages de vacances. L’architecte Olivier-Clément Cacoub réalise en 1970 le village de vacances « Résidence club Skanès » à Monastir, de facture néo-vernaculaire.

Cette part importante de l’économie tunisienne a été ralentie de façon conséquente avec le « printemps » arabe en 2014, et les attentats meurtriers commis en 2015 sur le sol tunisien contre des touristes étrangers, comme l’attaque du musée du Bardo à Tunis ou celui de la station balnéaire de Port-El-Kantaoui près de Sousse.

Aujourd’hui l’économie tunisienne est « sous perfusion », et cela se ressent sur la construction qui est au rythme ralenti de la société tunisienne, avec un Etat démocratique fragile.

 

 

Vincent du Chazaud, le 16 avril 2021

 

 

[1] BRÉON Emmanuel, RIVOIRARD Philippe (dir.), 1925 quand l’Art Déco séduit le monde », Éditions Norma et Cité de l’architecture et du patrimoine, Paris, 2013, p. 208

[2] DALIX Patrice, Itinéraire d’un architecte coopérant, éditions V, Paris, 2014

[3] NICOLAS Aymone, L’apogée des concours internationaux d’architecture, l’action de l’UIA 1948-1975, Editions Picard, Paris, 2007