BILLET n°170 – COURMES ET WOGENSCKY

 

C’est un ami commun, Jérôme Martin du Bosc, qui m’a alerté : « va voir l’exposition Alfred Courmes[1] au siège du PCF place du colonel Fabien, tu me diras ce que tu en penses ». Et bien Jérôme, je n’en pense que du bien… et ma surprise et ma honte sont grandes de ne pas avoir connu ce peintre plus tôt, il est vrai atypique : voilà qui me rend humble encore une fois. Je n’ai rien contre les expositions tranquilles comme celle d’Henri Matisse, dont une est visible à l’Orangerie, ou celle de Claude Monet qui ouvrait heureusement sur l’œuvre de Joan Mitchell, ou encore  celles répétitives sur Picasso dont les expériences ont parfois déchaîné des fureurs, mais apaisées depuis…

On pourrait le faire côtoyer Clovis Trouille, encore que celui-ci est plus iconoclaste, Le Douanier-Rousseau ou André Bauchant, dont les peintures sont nettement plus édulcorées. Ou côtoyer d’autres peintres dits « naïfs », Louise Séraphine pour laquelle la galerie Vierny a consacré une exposition il y a quelques années, Camille Bombois ou Louis Vivin.

Mais faut-il « ranger » Alfred Courmes avec les naïfs ? N’est-il pas plus proche des surréalistes, comme Salvador Dali, qui n’est pas allé aussi loin dans l’érotisme religieux, ou comme Hans Bellmer, troublant avec ses poupées torturées… Pas aussi irrévérencieux que son ami Clovis Trouille, mais plus audacieux qu’André Bauchant ou Henri Rousseau, comme eux Alfred Courmes est remarqué par André Breton. Leurs parcours d’autodidactes, en marge de l’école des Beaux-arts, leur spontanéité, leur amateurisme, leurs rêves, tout cela ne pouvait que plaire à ceux qui faisaient voler en éclat tous les codes artistiques, même les plus avant-gardistes : souvenons-nous des « urinoirs » ou des « porte-bouteilles » de Marcel Duchamp. Tout est art, pas trop tard…

 

L’érotisme, comme la religion, est souvent un moteur chez les artistes, et parfois les deux se mêlent. Les peintures d’Alfred Courmes (1898-1993) ont dû voir se hérisser plus d’un cheveu de catholiques intégristes, ou ce qu’il reste de cheveux autour des tonsures. Encore que, récemment dans la presse[2] a été révélé cette incroyable dérive mystico-érotique de deux frères dominicains, Thomas et Marie-Dominique Philippe. Ces deux-là ont profité de leur ascendant sur de faibles naïfs, qui n’étaient pas peintres ceux-là, et ils ont fait école auprès d’autres religieux. Jean-Luc Brunin, évêque du Havre, indigné et choqué confie que « pendant des dizaines d’années, ces prêtres ont libéré leurs pulsions sexuelles en invoquant une spiritualité tronquée. Les deux sont morts, mais leur toxicité s’est répandue au sein d’un vaste réseau de disciples. C’est très grave. » Leurs séances de prières viraient à des pratiques sado-maso masturbatoires, dignes de films pornographiques les plus osés, le prêtre demandant à ses victimes de boire son sperme car c’était « boire ainsi au cœur de Notre Seigneur ». Cette histoire aurait pu inspirer une toile à Clovis Trouille…

 

Du coq à l’âne, sans dire qui est le coq et qui est l’âne, en fait ni l’un ni l’autre… Comme l’art, progressivement la science perce les mystères sur lesquels les religions avaient assis leur domination, par la crainte et la soumission. Il en est pourtant un, de ces mystères, qui résiste à la science, et permet aux religions de tenir bon et de perdurer, vaille que vaille : c’est la mort. Si ce mystère était percé un jour, alors les religions s’effondreraient complètement. Un danger subsiste cependant : que la science, ou l’art, devienne une nouvelle religion … 

 

La veille de ma venue à l’exposition Alfred Courmes je suis allé voir la maison d’André Wogensky et de Marta Pan à Saint-Rémy-lès-Chevreuse, lors d’une visite guidée[3] par l’historien Franck Delorme et à l’initiative de l’Association d’histoire de l’architecture (AHA).

 

En 1952, chef d’agence de l’atelier de la rue de Sèvres, alors qu’il termine le chantier de l’Unité d’habitation de Marseille et prépare celui de Rezé, André Wogenscky et sa nouvelle épouse Marta Pan achètent un terrain proche de Paris dans la vallée de Chevreuse pour y construire leur maison-atelier. Ils rentrent dans les lieux en 1954, et y vivront jusqu’à leur décès (2004 pour André Wogenscky, 2008 pour Marta Pan). Marta est sculpteur, André architecte, ensemble ils conçoivent un espace moderne, aux proportions du Modulor, qui leur correspond totalement : fonctionnalité, lumière, matériaux bruts, double hauteur, cinquième façade, défi des conventions. Les activités propres à chacun, à Marta un atelier pour la sculpture, à André un bureau avec une table d’architecte, sont au centre de l’organisation spatiale et en correspondances visuelles. Le Corbusier rend visite à son chef d’agence, comme le montre une photo où ils sont tous les deux sur le toit-terrasse végétalisé de la maison de Saint-Rémy-lès-Chevreuse.

 

   

 

En 1956, Wogenscky quitte l’agence de la rue de Sèvres qu’il avait intégrée vingt ans auparavant, pour installer sa propre agence. Cette maison-atelier est sa première œuvre individuelle, qui sera suivie d’autres importantes comme architecte indépendant, parmi lesquelles les facultés de médecine Saint-Antoine (1961-65) et Necker (1963-65) à Paris, la Maison de la culture de Grenoble (1965-1967), le collège d’enseignement technique de l’optique (1966-68) boulevard Pasteur à Paris, la préfecture des Hauts-de-Seine à Nanterre (1965-72), à l’étranger le ministère de la Défense (1962-68) à Beyrouth et au Japon l’université des arts de Takarazuka (1992-94). 

 

Quant à Marta Pan, ses sculptures, dont on peut en découvrir plusieurs monumentales dans le parc et plusieurs maquettes dans la maison-atelier de Saint-Rémy-lès-Chevreuse, sont exposées ou intégrées dans des sites urbains ou architecturaux en France et à l’étranger, principalement au Japon.

Ensemble, ils décident de créer une Fondation[4] qui porte leur nom, installée dans leur maison-atelier. Celle-ci est ouverte à la visite, et la Fondation œuvre à l’encouragement des arts et à promouvoir les œuvres du sculpteur et de l’architecte.

 

Vincent du Chazaud, 10 mai 2023 

 

[1] « Alfred Courmes, peintre d’histoires », exposition Espace Niemeyer du 29 mars au 4 juin 2023, catalogue de l’exposition sous la direction de Dominique Carré et Carole Marquet-Morelle.

[2] « Au nom du père et du vice », article sur deux pages de Marie-Béatrice-Baudet et Sarah Belouezzane dans Le Monde du samedi 15 avril 2023

[3] Visite un samedi sur deux à 11h et 14h sur réservation (tél. 01 30 52 48 47 et fondation.mpaw@gmail.com)

[4] Fondation Marta Pan-André Wogenscky, 80 avenue du général Leclerc-78470 Saint-Rémy-lès-Chevreuse (01 30 52 48 47)