BILLET n°169 – L’ECOLE DE NANCY, ALLIANCE PROVINCIALE DES INDUSTRIES D’ART : l’art partout et pour tous, afin d’améliorer le cadre de vie de toutes les couches de la société. (2/2)

 

Une « école » pour former des artisans-artistes et diffuser l’art à tous

L’association « L’École de Nancy » était déjà précédée par une exposition d’Art décoratif lorrain qui se tint en juin 1894 aux Galeries Poirel de Nancy, première manifestation collective d’artistes locaux. Cette exposition, considérée comme l’acte fondateur de l’École de Nancy, est initiée par la Société d’art décoratif lorrain créée par l’architecte départemental Charles André, dont ce sera la seule manifestation concrète. La presse spécialisée s’est fait l‘écho de ces artistes nancéiens qui souhaitent renouveler les arts décoratifs, comme la revue parisienne « La Plume » qui leur consacre un numéro spécial en novembre 1895.

Les actions que comptent mener les membres fondateurs de l’association « L’École de Nancy, Alliance provinciale des industries d’art » et son président Émile Gallé sont destinées à répandre l’art à toutes les couches sociales. Cela passe par l’enseignement, avec la création d’une école professionnelle des métiers d’art, ainsi que des cours ouverts à tous de dessin et de modelage. Ensuite, la diffusion se fera par la création de musées et bibliothèques pouvant être itinérants, par la publication de bulletins et d’ouvrages sur les travaux de l’École de Nancy, ainsi que par des cycles de conférences. Enfin l’organisation de concours ainsi que des bourses d’études et de voyages permettent d’ouvrir ces métiers d’art aux plus démunis. Comme à Bruxelles, mais moins imposante que celle de Victor Horta, Nancy aura sa « Maison du Peuple » construite entre 1900 et 1902 par l’architecte Paul Charbonnier, avec des sculptures de Victor Prouvé et des menuiseries d’Eugène Vallin.

Pour le fonctionnement efficace de l’association et l’animer, il est fait appel aux industriels d’art de la région pour y adhérer et rentrer au bureau chargé de son administration. D’ailleurs, certains sont à la fois des artistes et des industriels, comme Émile Gallé nommé président dès la création de l’association, comme les vice-présidents Antonin Daum, maître de verreries, Louis Majorelle et Eugène Vallin, tous les deux fabricants de meubles d’art. L’encouragement au travail manuel par opposition à la machine industrielle n’exclut pas des structures adaptées au travail d’équipe, comme le feront Gallé et Majorelle dans leurs fabriques. Gallé fait appel à Lucien Weissenburger pour construire des ateliers neufs dans lesquels les conditions de travail des ouvriers sont améliorées, en même temps que leurs statuts de salariés.

Déjà répandus à Bruxelles depuis la dernière décennie du 19ème siècle, l’esprit social et la philosophie humaniste « Art nouveau » de l’École de Nancy se manifestent par la mobilisation de toutes les disciplines artistiques afin de rendre beaux les objets utiles pour toutes les couches sociales. Cette réunion des arts au service du quotidien passe d’abord par l’éducation artistique, autant pour ceux qui vont œuvrer que pour ceux qui vont se servir de ces œuvres. Sans s’opposer au projet en cours pour la création d’une École régionale des Beaux-arts, l’École de Nancy souhaite mettre en place, comme indiqué dans ses statuts, « des ateliers d’apprentissage, applicable au plus grand nombre possible de métiers d’art ». Ces statuts précisent également l’importance de puiser dans la nature des sources d’inspiration nouvelles, par « l’observation directe des êtres et de la vie ». Victor Prouvé dessine une affiche, « L’herborisateur », pour l’exposition de l’École de Nancy en mars 1903 au Pavillon de Marsan, organisée par l’Union centrale des arts décoratifs (UCAD). Cette affiche exprime clairement les liens qui doivent unir l’artiste à la nature pour renouveler l’art. Cet appel à la nature comme source d’inspiration artistique sera une des marques de l’École de Nancy, reprise à Paris par Guimard ainsi que par les architectes belges. C’est à deux éminents membres de l’École de Nancy, Émile Gallé et Louis Majorelle, que l’architecte belge Jules Brunfaut fait appel en 1902 pour le mobilier et la décoration intérieure de son unique construction Art nouveau, l’hôtel Hannon à Bruxelles.  

Afin de distinguer leurs œuvres et encourager les liens entre industriels, artistes et artisans lorrains, les projets primés lors de concours sont estampillés « École de Nancy » avec le nom de leurs auteurs.

Les membres de l’École de Nancy participent  à diverses manifestations permettant de faire connaître et diffuser leurs œuvres. En 1903, on a vu qu’une exposition collective de l’École de Nancy a eu lieu au pavillon de Marsan organisé par l’Union centrale des arts décoratifs (UCAD). En 1904, avec l’aide de la Société lorraine des amis des arts, l’École de Nancy expose aux Galeries Poirel de Nancy différents aspects de sa production, notamment l’architecture aux côtés de la peinture et des arts décoratifs. En 1908, sur l’invitation de la Société des amis des arts de Strasbourg, l’École de Nancy est présente à la manifestation qui se tient au château des Rohan. L’association se présentera une dernière fois collectivement en 1909 pour l’Exposition Internationale de l’Est de la France qui se tient à Nancy. Eugène Vallin y réalise le pavillon de l’École de Nancy avec un matériau récent, le ciment armé. Ce sera la dernière manifestation collective des artistes Art nouveau sous la bannière de l’École de Nancy.

 

Difficultés, déclin et dissolution de l’École de Nancy

L’association sera confrontée de façon récurrente à des problèmes de trésorerie. Un temps, son président Émile Gallé a espéré le legs d’un mécène nancéien doté d’un bel héritage, Hippolyte Scheffler, mais ce projet s’évanouit dans les méandres juridiques[1]. De ces difficultés de trésorerie et de fonctionnement de l’association, Émile Gallé s’en confie à Henry Hirsch, magistrat et collectionneur nancéien, dans une lettre du 19 avril 1901 : « Que de difficultés de toute sorte à vaincre ! Inimaginable ! À peine mise bas, cette pauvre École a inquiété tout le monde depuis celle des Beaux-arts ici jusqu’aux Directions du Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts. Entrevue avec ministre, directeur de l’enseignement supérieur pour calmer, rassurer, obtenir un peu d’argent, de la tolérance, beaucoup de liberté.[2]»

Émile Gallé, premier président de l’École de Nancy, décède le 23 septembre 1904 à l’âge de cinquante huit ans. C’est Victor Prouvé qui lui succède à la présidence le 10 décembre 1904. Celui-ci n’étant pas industriel d’art, les statuts de l’association sont modifiés. Face au déclin de l’Art nouveau, en dépit de ses tentatives pour nouer des liens avec les entreprises d’art local, l’association École de Nancy périclite, et les bruits d’une guerre imminente en signeront la fin. L’association « L’École de Nancy, Alliance provinciale des industries d’art » est officiellement dissoute le 18 août 1914, peu après le déclenchement de la Première guerre mondiale. Les fonds restant seront versés à une caisse de secours pour venir en aide aux blessés de guerre.

 

 

Vincent du Chazaud, le 3 avril 2023

(extrait arrangé de «L’Art nouveau/5 villas et hôtels particulier », éditions du Moniteur, octobre 2022)

  

[1]Cette histoire est détaillée dans un article de Valérie Thomas, « Les premières années de l’École de Nancy, une alliance difficile », Arts nouveaux, magazine de l’art nouveau, n°37, septembre 2021.

[2]Ibid