BILLET n°168 – L’ECOLE DE NANCY, ALLIANCE PROVINCIALE DES INDUSTRIES D’ART : l’art partout et pour tous, afin d’améliorer le cadre de vie de toutes les couches de la société (1/2)

 

Parlant de son père Victor Prouvé (1858-1943) et de l’École de Nancy, Jean Prouvé a ces mots en 1983[1] : « Mon père était très proche d’Émile Gallé, le maître verrier et fondateur de l’École de Nancy. J’en étais le filleul (…) Tous ces gens avaient l’amour du monde ouvrier, prônaient une collaboration étroite entre industriels, artistes et artisans. Ils étaient révolutionnaires sur tous les plans et principalement sur le plan de la production industrielle destinée au plus grand nombre. Des socialistes avant l’heure (…) Pour étayer leurs idées, les animateurs de l’École de Nancy ont cherché où était la meilleure inspiration. Ils l’ont trouvé dans l’observation de la nature. Je me souviens de mon père me disant : « Tu vois comme l’épine s’accroche sur la tige de cette rose ? » Ce faisant, il ouvrait sa paume, en parcourait d’un doigt le contour : « Regarde, comme le pouce sur la main. Tout cela est bien fait, tout cela est solide, ce sont des formes d’égale résistance, malgré tout, c’est souple. » Cela m’est resté. Si vous regardez certains de mes meubles que j’ai faits, on retrouve un peu partout un dessin de choses qui s’affinent : les profilés sont d’égale résistance, c’est-à-dire qu’ils sont plus forts à l’endroit où ils travaillent le plus. C’est probablement ce qui me reste de l’École de Nancy. Et puis j’en suis sorti, j’ai évolué. J’ai évolué parce qu’ils m’avaient appris qu’il fallait évoluer. »

 

Émile Gallé, cheville ouvrière de l’École de Nancy

Le 11 janvier 1901, Émile Gallé (1846-1904) publie une lettre dans le journal « L’Étoile de l’Est », reprise le 15 janvier dans « La Lorraine Artiste ». Il y expose un état des lieux de l’enseignement artistique à Nancy, puis il fait une proposition de création d’un groupement pour développer l’industrie d’art en Lorraine afin de faire face à la concurrence étrangère. 

Émile Gallé, né la 4 mai 1846 à Nancy, à la fois maître-verrier, ébéniste et céramiste, est aussi un industriel employant près de trois cents artistes et ouvriers d’art dans son usine de Nancy. Botaniste reconnu, à la porte de ses ateliers il a fait apposer cette devise : « Ma racine est au fond des bois ». Il puisera dans les végétaux une source inépuisable d’inspiration artistique. C’est un humaniste, un an après la création de la Ligue française des droits de l’homme, il fonde la section nancéienne de cette ligue, il s’associe aux combats pour la justice, comme l’affaire Dreyfus, ou ceux pour la liberté en soutenant les Irlandais en révolte contre les britanniques et le mouvement de libération nationale arménien. Couvert de prix (nombreuses médailles d’or et d’honneur à des Expositions) et d’honneurs (commandeur de la Légion d’honneur), il se dépense sans compter en conférences, expositions et créations, diffusant ainsi un souffle nouveau sur l’art et sur la société industrielle naissante.  

Le 13 février 1901 est créée l’association « L’École de Nancy, Alliance provinciale des industries d’art ». C’est seulement un an après, le 14 février 1902, que son président Émile Gallé déclare l’association et dépose les statuts à la préfecture de Meurthe-et-Moselle. Entretemps en juillet 1901, aura été votée à l’Assemblée nationale la loi sur les associations d’utilité publique.

 

Les animateurs et membres de l’École de Nancy : association de l’art et de l’industrie

L’association « L’École de Nancy, Alliance provinciale des industries d’art » compte parmi ses membres fondateurs les frères Daum comme verriers, les peintres, graveurs et sculpteurs Victor Prouvé, Camille Martin et René Wiener, comme concepteurs de meubles Louis Majorelle et Eugène Vallin… Se joindront également les architectes Émile André, Henry Gutton, Lucien Weissenburger et Georges Biet, le maître verrier Jacques Gruber. Ces artistes sont aidés et encouragés par des mécènes comme Eugène Corbin, Albert Bergeret ou Jules Villard, qui font appel à ces artistes et architectes pour leurs projets d’habitations (hôtel Bergeret, architecte Lucien Weissenburger, vitraux Jacques Gruber, mobilier Eugène Vallin), de lotissements (parc de Saurupt, architectes Émile André et Henry Gutton), de magasins (graineterie Louis Genin, architectes Henry Gutton, vitraux Jacques Gruber, céramiques Alexandre Bigot) ou de banque (banque Renauld, architectes Émile André et Paul Charbonnier, ferronneries et mobilier Louis Majorelle). Viendront s’y adjoindre des personnages d’autres horizons, comme l’industriel belge Armand Solvay ou le critique d’art parisien Gabriel Mourey.

 

 

 

 

L’architecture Art nouveau de Nancy : apparition tardive

C’est à partir de 1901, année de naissance de Jean Prouvé et de l’École de Nancy, que l’architecture Art nouveau se révèle à Nancy avec la villa Majorelle d’Henri Sauvage, précédant d’autres architectures emblématiques de l’Art nouveau dans cette ville. Quelques-unes sont construites dans le parc de Saurupt, projet ambitieux de Jules Villard en 1901 répondant à l’expansion de la ville. Le plan d’ensemble du lotissement est dessiné par deux architectes nancéiens, Émile André et Henry Gutton, tous les deux membres de la toute nouvelle École de Nancy. Le lotissement, inspiré des cités jardins anglaises, était annoncé par une affiche publicitaire à la typographie Art nouveau,  « Le parc de Saurupt à Nancy, à la ville et à la campagne ». Cinq ans après son lancement, seulement huit parcelles sont vendues sur les quatre vingt un lots, sur lesquelles la maison du concierge et six villas, parmi elles Les Glycines et Les Roches, sont construites par Émile André. Les architectes Gutton et Hornecker réalisent la maison témoin et la villa Marguerite, l’architecte Lucien Weissenburger la villa Lang. Après la guerre, le plan masse du lotissement est densifié, avec une majorité de maisons mitoyennes. Dans les années 1930, l’architecte Charles Masson poursuit la construction du lotissement avec des villas Art déco, une façon de marquer son époque. 

 

Vincent du Chazaud, le 3 avril 2023

(extrait arrangé de «L’Art nouveau/5 villas et hôtels particulier », éditions du Moniteur, octobre 2022)

 

[1]LAVALOU Armelle, Jean Prou­vé par lui-même, Editions du Linteau, Pa­ris, 2001, pp 11 à 14