Le précédent billet faisait une large place à Le Corbusier, notamment les premiers 38% de sa vie (1). Le purisme doctrinaire des fondateurs du Mouvement moderne dont il fut, en compagnie entre autres de Robert Mallet-Stevens (2), a alerté artistes et poètes, notamment quand cette modernité fut récupéré par des architectes qui se disaient urbanistes, pressés par les politiques qui devaient faire face à l’explosion démographique ainsi qu’à l’exode rural des années 50.

 

Jacques Tati a tourné en dérision ces excès du Mouvement moderne, que ce soit en filmant le monde du travail dans « Playtime », ou celui des nouveaux riches dans leurs villas modernes avec « Mon oncle ». La maison Arpel (3) n’est pas sans rappeler celles construites par Mallet-Stevens pour la bourgeoisie, avec les travers et les excès dans lesquels l’architecte a succombé, contrairement à Le Corbusier, moins mondain, sorte de moine militant pour une cause sociale, incomprise des socialistes (4). Mallet-Stevens construit pour le « gros bourgeois » cultivé. Avec la villa Arpel conçue en 1956 avec le décorateur Jacques Lagrange dans les studios de La Victorine près de Nice, Tati ironise sur l’esprit « petit bourgeois » des snobs , suiveurs du mouvement moderne qui n’en retiennent que la forme au détriment du fonctionnel. La ville de Royan, reconstruite dans les années 50 après les bombardements de janvier 1944, est parsemée de « villas Arpel » dont les habitants aujourd’hui déposent des demandes de permis de construire pour les rendre « habitables »… En 1958, Tati tenait les propos suivants : « je ne suis pas contre l’architecture moderne, mais je crois que l’on devrait faire passer non seulement un permis de construire, mais également un permis d’habiter »… et dans « Mon oncle », il n’épargne pas non plus l’absurdité fonctionnelle des vieux immeubles quand il grimpe dans sa mansarde par des escaliers improbables; c’est sans doute cela que l’on appelle le « charme des immeubles anciens» et que l’on refuse aux autres dits « modernes » …

Le saumon-sculpture-jet-d’eau (5) qui orne le jardin singe par anticipation les installations tournoyantes et jaillissantes de Tinguely et Niki de Saint-Phalle pour la fontaine de Beaubourg, au-dessus de l’auditorium de Boulez. Leurs sculptures mécaniques et colorées sont toutes proches de l’exposition consacrée à Calder, leur prédécesseur, avec ses mobiles parmi les 400 œuvres de cet artiste présenté à Beaubourg (6). C’est jubilatoire, et Kandinsky dans la salle à côté lui fait écho avec ses géométries figées dans l’espace, comme des mobiles immobiles (7)… Vassily Kandinsky le russe, Alexander Calder l’américain, c’est la chute du mur de Berlin avant même qu’il ne soit érigé…

 

Calder créait avec l’âme d’un enfant ; artiste débonnaire à la massive stature, il était capable d’adresse et de minuties pour réaliser d’étonnantes caricatures avec du fil de fer (on a parlé du Daumier du fil de fer). C’est si « vrai » qu’une vache fait tranquillement sa bouse, qu’un verrat ne s’y trompe pas en montant sur sa truie… Quel cirque il nous fait ce Calder, je le répète, c’est jubilatoire… C’est un fil d’Ariane ouvrant sur les portes d’un univers en pleine expansion (8), imprévisible et insaisissable, c’est aussi fragile que les ailes d’un papillon, seul l’air ou sa mécanique interne peuvent les agiter. C’est de l’art « primaire » au sens plein, propre et figuré. Avec peu de moyens et des matériaux pauvres (du fil de fer) Calder crée une œuvre spirituelle dans les deux sens du terme. Calder c’est un primitif, c’est l’artiste « premier », il pourrait avoir sa place au musée du même nom. Après l’art océanien, asiatique, africain, sud-américain et nord-américain, la boucle serait bouclée avec une œuvre de Calder, l’ami américain.

 

Parlant des mobiles de Calder, Sartre disait qu’ils étaient « un petit air de jazz-hot, unique et éphémère (…) si vous l’avez manqué , vous l’avez perdu pour toujours » (9) . C’est aussi au Musée du quai Branly que le jazz fête ses 100 ans (10). Y est présenté l’un des rares exemplaires édités du livre de Matisse sur le Jazz, parmi des pochettes de 33 tours qui sont autant d’œuvres d’art. Et ça me laisse le regret de ne pas avoir terminé ce samedi en allant écouter la formation de Jazz de Flamand qui se produisait au restaurant « chez Françoise »(11). La prochaine fois, promis… Allez je laisse la place à l’ami Cabanne pour sa rubrique… sur le Jazz précisément.

 

(1)Rappel pour ceux qui ne se seraient pas encore procuré cette excellente BD de Sambal Oelek, « L’enfance d’un architecte, les premiers 38% de la vie de Le Corbusier » Editions du Linteau, 2008. On la trouve dans l’excellente LIBRAIRIE TROPIQUES située au 63 rue Raymond Losserand à Paris 14ème. Demandez Grégoire Orsingher de ma part, il saura vous guider vers d’autres trésors de la bande dessinée. Une exposition des dessins de cet album a (ou a eu) lieu jusqu’au 28 mars à l’école d’architecture Paris-Malaquais, 1 rue Jacques Callot Paris 6ème

(2)KLEIN Richard, La villa Cavrois, Robert Mallet-Stevens, éditions Picard, Paris, 2005.

(3)Une réplique de la villa Arpel est visible jusqu’au 3 mai 2009 au « 104 » rue d’Aubervilliers, Pais 19ème, également « Jacques Tati, deux temps, trois mouvements » jusqu’au 2 août 2009 à la Cinémathèque 51 rue de Bercy à Paris 12ème.

(4)L’école fondée par Leplattenier, son premier maître, dans l’esprit « Art nouveau » et peu après du Bauhaus, sera fermée par les socialistes de la mairie de La Chaux-de-Fond. (« Lettres de Le Corbusier à Leplattenier », éditions du Linteau, Paris)

(5) Ai-je déjà cité «L’atelier du saumon » 11 rue de la Charronnerie à Saint Denis (93200), tél/fax 01 49 22 06 13, atelierdusaumon@gmail.com. Le « fumeur » de saumon, Laurent Leymonie, opère dans son atelier, livraison à son domicile possible.

(6) « Alexander Calder les années parisiennes, 1926-1933 », Centre Pompidou, jusqu’au 20 juillet 2009.

(7) « Kandinsky », Centre Pompidou, jusqu’au 10 août 2009.

(8)Calder disait : « le sens sous-jacent à mon œuvre fut le système de l’univers, c’est un grand modèle à partir duquel travailler ».

(9)SARTRE Jean-Paul, « Les mobiles de Calder », in Calder, Maeght Editeur, 1994. Sartre termine ainsi ce qui était la préface au catalogue d’un exposition Calder en 1946 : « En un mot, quoique Calder n’ait rien voulu imiter (…), ses mobiles sont à la fois des inventions lyriques, des combinaisons techniques, presque mathématiques et le symbole sensible de la Nature, cette grande Nature vague (…) dont on ne sait jamais si elle est l’enchaînement aveugle des causes et des effets ou le développement timide, sans cesse retardé, déragé, traversé, d’une Idée ».

(10) « Le siècle du Jazz », exposition au musée du quai Branly jusqu’au 28 juin 2009

(11) Restaurant » Chez Françoise », rue Robert Esnault Pelterie, Paris 7ème (01 47 05 49 03)

 

Vincent BERTAUD DU CHAZAUD

architecte ENSAIS
docteur en histoire de l’art
expert près la cour d’appel de Paris

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