Sur le chemin de l’école

 La vie offre, parfois, à voir dans la pauvreté des êtres mus par une volonté qu’on appelle souvent « farouche », mais que je nommerais plus volontiers de « joyeuse ». Les enfants du film documentaire « Sur le chemin de l’école »[1] communiquent cette joie d’apprendre au spectateur, quel qu’en soit le prix à payer. Leur périple journalier (hebdomadaire pour les unes), a des allures de trajet fait par Yves Montand et Charles Vanel dans le film « Le salaire de la peur » (les petits kenyans affrontant les éléphants dans la savane) ou de westerns (les petits argentins à cheval dans la pampa). Et le siège roulant, plutôt que le fauteuil, usé et brinquebalant des petits indiens prend des allures d’Odyssée. Chacun de leurs voyages, qui en lui-même représente un exploit, se répète matin et soir, tous les jours de la semaine. Le but commun à chacune de ces expéditions: le SAVOIR… cette connaissance qui s’oppose à l’ignorance, mère des croyances, des dogmes, des fanatismes et des racismes. Pour ces enfants, l’école représente un choix possible dans leur vie, et non un enchaînement inéluctable à la terre qui les a vus naître, avec des conditions de vie parfois précaires. Ce savoir, quand il est intelligemment dirigé, peut permettre de s’affranchir des tâches répétitives, contraignantes, indispensables à une simple survie. Ce savoir est une porte vers la liberté. Ces enfants ont l’espoir que le savoir va leur servir à améliorer leurs conditions de vie rudes et sévères ainsi que celles de leur famille : le fils d’éleveur argentin veut devenir vétérinaire, l’enfant indien paraplégique veut devenir médecin, le petit garçon kenyan qui creuse le sol de ses mains pour y puiser de l’eau veut devenir ingénieur. Leur pauvreté, qui n’est pas la misère, il la supporte et la vive avec une grande dignité : pas de fatalisme de la part des parents, puisqu’ils se sacrifient et scolarisent leurs enfants, avec l’espoir que leur vie sera moins rude que la leur… Ils sont beaux et graves, ils illuminent l’écran. Est-ce le même espoir qui nous anime quand nous envoyons nos propres enfants à l’école ?

 

Félix Vallotton

 Curieux personnage ce Félix Vallotton[2], qui voit dans la femme les deux faces opposées qu’en font les religions du Livre, puis celle des mahométans : elle est à la fois vierge et catin, satanique et sainte, infanticide et enchanteresse, épouse et maîtresse, jeune fille fatale et vieille femme lubrique… ça, c’est pour la personnalité complexe et torturée de Vallotton, Suisse émigré en France à la fin du XIXème siècle comme Le Corbusier au début du XXème, dont une part importante de son œuvre picturale, notamment celle des dernières années de sa vie, se fait l’écho à travers ses peintures de nus. Mais il y a un autre peintre, à mon sens plus intéressant, celui des scènes de la vie quotidienne ou culturelle, et celui des arbres et paysages. Là Vallotton, par sa technique picturale faite d’aplats de couleurs qu’affectionnent les Nabis qu’il a fréquentés, par ses cadrages en plongée ou contre plongée, que la photographie naissante, dont Vallotton a usé, a permis de fixer, évolue dans un univers proche de celui que peignait l’Américain Howard Hopper. Vallotton (1865-1925), de 17 ans l’aîné de Hopper (1882-1961), bien que séparés par l’océan Atlantique, ont baigné leur peinture dans la même atmosphère inquiète. Hopper a-t-il eu l’occasion de connaître les toiles de Vallotton lors de son séjour à Paris. Des toiles comme « La loge de théâtre, le monsieur et la dame » (1909), « La grève blanche, Vasouy » (1913) ou « Laveuses à Etretat » (1899) pourraient être d’un seul et même peintre, ou des deux à la fois. Dans le catalogue de l’exposition[3], un chapitre entier fait aussi un parallélisme entre le cinéma d’Alfred Hitchcock ou de Fritz Lang et l’univers de Vallotton.

 

Jean Prouvé et Alexander Calder

 La galerie Patrick Seguin[4], rue des Taillandiers à deux pas de l’agence de notre confrère Alain Valentin, s’est spécialisée dans le mobilier du XXème siècle, Prouvé, Perriand, Jeanneret, Le Corbusier et Royère étant les principaux créateurs présentés. En ce moment, le galeriste met en scène et associe des œuvres de Prouvé (1901-1984) et de Calder (1898-1976) dans son grand hangar blanc. En juin et juillet 2012, ce hangar était entièrement occupé par le remontage d’une « Maison des jours meilleurs » que Jean Prouvé avait conçue dans l’espoir de fabriquer en série des logements d’urgence pour l’abbé Pierre, après son vibrant appel de l’hiver 1954[5] (5).

Aujourd’hui tables, sièges et lampes de Prouvé, mais également des morceaux d’architecture comme les portiques en acier plié pour les bureaux de Ferembal, côtoient ou supportent stabiles et mobiles de Calder. Suite à une exposition de ce dernier en 1932, Marcel Duchamp qualifia ses sculptures de « mobiles », et disait de ses stabiles qu’ils étaient « la sublimation d’un arbre dans le vent ».

Seguin a eu la « riche » idée d’associer l’artiste et le constructeur, dont on ne sait plus qui est l’un et qui est l’autre tant ils sont les deux à la fois. Prouvé et Calder s’estimaient: une carte de vœux adressée par le truculent américain au timide Nancéen est touchante de vérité sur cette complicité. Elle se concrétisera avec un travail en commun pour le siège de l’Unesco. Jean Prouvé y réalise avec l’entreprise Goumy, juste avant que celle-ci soit absorbé par la CIMT, la base du mobile monumental « La Spirale » de Calder.

 

Vincent du Chazaud

28 octobre 2013



[1] « Sur le chemin de l’école », film documentaire de Pascal Plisson, sortie septembre 2013.

[2] « Félix Vallotton, le feu sous la glace », exposition au Grand palais du 2 octobre 2013 au 20 janvier 2014.

[3] Catalogue de l’exposition « Félix Valloton, le feu sous la glace », coédition RMN-GP/musée d’Orsay, Paris, 2013

[4] CALDER/PROUVÉ, du 25 octobre au 7 décembre 2013, Galerie Patrick Seguin, 5 rue des Taillandiers à Paris 11ème (en collaboration avec Gagosian Gallery, qui de son côté expose des œuvres de Prouvé et Calder dans sa galerie du Bourget, un ancien hangar d’aviation).

[5] « Jean Prouvé a élevé sur le quai Alexandre III la plus belle maison que je connaisse : le plus parfait moyen d’habitation, la plus étincelante chose construite. Et tout cela est en vrai, bâti, réalisé, conclusion d’une vie de recherches. Et c’est l’abbé Pierre qui la lui a commandée ! » Le Corbusier après sa visite du prototype exposé sur le quai Alexandre III à Paris en février 1956.