BILLET n°131 – ALAIN BADIOU, ETC…  

 

Lorsque Alain Badiou cite ces trois évènements, la Révolution française, la Révolution russe, la Révolution culturelle chinoise,  comme « acteurs », voire comme « activeurs » de vérité, j’émets un doute quant au sens qu’il donne au mot « vérité ». Ce mot est alors précédé d’unicité, celle du « vainqueur » , celle du « peuple » vainquant son « oppresseur » : quelle formule magique englobe ce mot « peuple » pour ceux avides de pouvoir, de domination ! La formule est trompeuse, car il est « cocu » dans tous les cas, on se sert de lui, masse informe aux contours flous.

 

Pour le premier événement, la Révolution française, Badiou préfère la période de la Terreur de 1793 des coupeurs de tête, à celle de 1789 inspirée par les philosophes de Lumières.

 

Pour la seconde, la Révolution russe, Badiou préfèrera la période stalinienne, et le vide fait autour du pouvoir central.

 

Pour la troisième, la Révolution culturelle chinoise, Badiou préfèrera cette période du maoïsme, avec les mêmes excès que ceux des Khmers rouges au Cambodge, pour lesquels on aimerait connaître ce qu’en pense Badiou. Ici je me suis remémoré cette histoire écrite et dessinée par un chinois, Rao Pingru, « Notre histoire », qui a vécu cette période de la « Révolution culturelle », « rééduqué » dans un camp de travail, éloigné de sa famille durant vingt ans.

 

Toutes les victimes de ces révolutions ne seraient-elles que des victimes collatérales pour des « lendemains qui chantent » ? Faut-il remplacer une souffrance par une autre souffrance, inhérente aux sociétés humaines ? C’est stagner, voire régresser, on ne bâtit rien de bon sur la haine, sinon que des regrets, des souffrances, des vengeances, on ne peut espérer bâtir un espoir que sur l’amour… Ici me revient la phrase que John Steinbeck prononça à la fin de son discours de réception du prix Nobel de littérature en 1962 : « L’homme lui-même est devenu notre plus grand danger (la haine) et notre seul espoir (l’amour) ». Cette vision est troublante tant elle est d’une brulante actualité après plus d’un demi-siècle.

 

Finalement, ce qui est étrange chez Badiou c’est que, alors qu’il se « torture les méninges » à propos de « la Vérité », il accepte des régimes politiques qui empêchent de penser et de rechercher « une Vérité »… Son refus d’une vérité relative, mais unique, permet effectivement d’adhérer à des régimes totalitaires et sanguinaires… Pourquoi n’a-t-il pas encensé la Révolution nazie nationale-socialiste ? Entre communisme russe et fascisme allemand, il n’y a que l’espace d’une feuille de papier à cigarette. 

Ce qui est paradoxal chez ce « beau parleur » de Badiou, c’est qu’il puisse encenser des régimes qui refusent la liberté de parole. Badiou, comme Sartre, ces idéologues auxquels je dénie le qualificatif de philosophes, amis de la sagesse, sont horrifiants et font peur…

 

« Quand les paysans touchent des fusils, les vieux mythes pâlissent, les interdits sont un à un renversés : l’arme d’un combattant, c’est son humanité. Car, en le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme et un homme libre ; le survivant, pour la première fois, sent un sol national sous la plante de ses pieds.  »

Celui qui écrit ceci, Sartre, pousse le révolté, quelles qu’en soient ses raisons, a devenir un danger pour l’humain, donc pour lui-même ; pense-t-il à la concrétisation qui s’ensuivit de cet appel au meurtre avec le massacre, non pas seulement de colons européens, mais aussi de celui de paysans algériens, vieillards, hommes, femmes, enfants, à Melouza ?

 

« Aujourd’hui, la pauvreté des paysans algériens risque de s’accroître démesurément au rythme d’une démographie foudroyante. De surcroît, coincés entre les combattants, ils souffrent de la peur : eux aussi, eux surtout ont besoin de paix ! C’est à eux et aux miens que je continue de penser en écrivant le mot d’Algérie et en plaidant pour la réconciliation. C’est à eux, en tout cas, qu’il faudrait donner enfin une voix et un avenir libéré de la peur et de la faim.»

Celui qui écrit cela, Camus, pense aux hommes et aux femmes de son pays, indépendamment de leur origine, il pense à l’humanité et au dialogue des humains, non à une idéologie sanguinaire pour régler le sort des humains.  

 

Ici, la Révolution algérienne, comme avec les autres révolutions citées par Badiou, aura oublié les paysans armés qui auront massacré les colons oppresseurs pour hisser au pouvoir des chefs corrompus par les richesses du pays… Un demi-siècle après, le peuple se révolte à nouveau, contre les chefs qu’il avait autrefois adoubés …

 

Badiou ne peut concevoir une révolution que si elle est conduite par un « chef »… on comprend que le mouvement social né avec les « gilets jaunes », spontané et euphorisant, n’ait pas son approbation. Il en déplore l’absence de « direction incarnée » et « d’organisation disciplinée ». Pisse-froid, il déclare « ce sympathique carnaval ne peut m’impressionner »… Il lui faut du sang et des larmes, pas de la vie et des rires.

 

 

En « vérité », je rejoins plutôt Brassens que Badiou, notamment quand il chante dans « Mourir pour des idées » :

 

« Encore s’il suffisait de quelques hécatombes

Pour qu’enfin tout changeât, qu’enfin tout s’arrangeât !

Depuis tant de « grands soirs » que tant de têtes tombent,

Au Paradis sur terre on y serait déjà.

Mais l’âge d’or sans cesse est remis aux calendes,

Les dieux ont toujours soif, n’en ont jamais assez,

Et c’est la mort, la mort toujours recommencée…

Mourons pour des idées, d’accord mais de mort lente… »

 

 

Vincent du Chazaud, le 15mars 2020